Je me demande parfois pourquoi je m’énerve.

Pourquoi je me la pète trop souvent, ma bulle, en me triturant les méninges à réfléchir à la faisabilité des choses, empêtré dans les détails.

Ça empêche de rêver, cette vilaine tendance. C’est comme ça qu’on développe une réputation de gars « plate », à voir des problèmes où il n’y en a pas.

Comme grimacer sur l’objectif d’augmenter de 50 % la capacité de production d’Hydro-Québec.

Monsieur Legault nous l’a pourtant répété en campagne électorale : on construira de nouveaux barrages.

Évidemment, esprit chagrin comme je suis, j’ai osé penser que si c’était aussi facile d’en construire, des grosses estacades, ça se saurait, et qu’ici, comme l’éléphant, le gouvernement dormait et rêvait debout.

J’ai finalement supposé que j’étais ignare en la matière.

D’où la bonne nouvelle : le gouvernement du Québec aurait décidé de tenir une consultation publique sur notre avenir énergétique, de nous expliquer son plan. À la bonne heure !

Sérieusement, c’est ce qu’il fallait faire, et bravo !

J’espère toutefois ne pas être naïf, que cet exercice ne sera pas que stratégie politique. Comme le crocodile, il nous faudra dormir un œil ouvert.

Parce que les dernières semaines ont été inquiétantes dans ce dossier.

En commençant par la désignation de Pierre Fitzgibbon comme maître après Dieu, à qui on a ajouté comme responsabilité la gestion politique de notre joyau de la couronne, l’hydroélectricité.

Mais étant ce qu’il est, Fitz ne nous a pas déçus. Il s’en est tiré une autre dans la pantoufle en partant. Bang ! En signifiant à tout le Québec que comme il savait, lui, ce que devait faire Hydro, il lui expliquerait à la madame Brochu comment ça marche !

Dans mes relations personnelles, j’aurais pris la porte pour pas mal moins que ça.

Et c’est pourquoi Fitz n’est pas clair de nœuds dans le départ de Sophie Brochu. On est porté à croire, comme au hockey, à un bâton élevé suivi d’un double échec.

Mais il s’en tape, le boss lui a octroyé une immunité permanente.

Cela étant, en démocratie comme en affaires, le gouvernement, ou l’actionnaire unique, a préséance sur ses filiales.

Malgré tout, j’apprécie le militantisme économique de Fitz.

Bien sûr, il serait plus facile de l’aimer s’il comprenait que le service public exige de la délicatesse sur l’apparence éthique. Espérons qu’il la pogne un jour, celle-là.

Et donc, la consultation publique devrait permettre aux Québécois de saisir le plan de match du gouvernement.

Incidemment, on devrait comprendre pourquoi il serait payant d’octroyer des prix de faveur en électricité à certaines entreprises.

Francis Vailles⁠1, très à propos, a récemment remis en question la rentabilité des tarifs au rabais permis aux alumineries au Québec.

Pour réponse aux doutes soulevés par M. Vailles et d’autres, le premier ministre a considéré comme « injuste » le traitement de ses priorités. État d’âme.

L’économie est aussi une science, bien qu’inexacte, et les moyens pour en comprendre les bénéfices existent.

Ainsi, dans ce cas, pour convertir l’hérétique, les prières et la dévotion pèsent moins lourd que les faits et les chiffres.

Donc, s’il est plus payant de développer notre économie en utilisant les tarifs électriques que de vendre des kilowatts aux Américains, ça se calcule, et qu’on nous l’explique.

Et qu’en est-il vraiment de l’économie d’énergie ?

En passant, je veux contribuer, et je prends maintenant des douches froides. Je m’y suis habitué durant ma carrière…

Et où seront construits les nouveaux barrages, à quels coûts et dans quelle décennie seront-ils opérationnels ? Et qu’en pensent les nations autochtones ?

Et l’adéquation dans le temps entre la nouvelle capacité de production à venir et les nouveaux besoins des projets industriels que le ministre dit avoir sur son bureau, qu’on comprend à plus court terme.

On voudrait également juger la vision qu’avait développée Mme Brochu, la comparer à celle du gouvernement. Il y aurait divergence…

Et je présume qu’on dépassera la tradition orale. Qu’on nous présentera un plan concret concernant l’atteinte d’un Québec décarboné en 2050.

Fitz croit fermement qu’il faille développer la filière « batterie », que ça passe par là. Fort bien, on veut le croire. Mais comme nous ne sommes pas les seuls au monde à le vouloir, faudrait nous expliquer où on se situera dans cette course folle.

On est combien à tirer sur le même steak ?

Parce que ce sont lui et le gouvernement qui choisiront les projets. S’ils se trompent, on vivra longtemps avec les dégâts.

Et combien cette filière nous coûtera en subventions aux entreprises, en rabais d’électricité, par rapport aux bénéfices ?

Pour une intégration verticale réelle de ce secteur, il nous faudra bien extraire du matériel du sous-sol, comme du graphite et du lithium. En conséquence, quel est le plan ordonné pour le développement minier ?

Finalement, est-il plus éclairé d’investir autant dans l’industrie manufacturière, comparé au même montant dans l’innovation technologique, où les emplois sont aussi très payants ?

Où se situe l’avenir économique du Québec ?

Et combien d’autres questions.

En somme, le Québec a besoin d’une vision claire. C’est aussi ça, l’économie, une affaire de vision qui intègre la comptabilité. MM. Lévesque et Bourassa l’ont prouvé jadis, s’agissant de l’énergie.

Elle doit également tenir compte de nos grands choix de société, et donner espoir à la jeunesse, tant qu’à y être.

Michel C. Auger⁠2 a écrit ceci : « Monsieur Legault répète souvent qu’il est obsédé par la création de richesse. Mais les moyens de créer cette richesse ne sont plus les mêmes qu’il y a 50 ans. Sauf que, quand le gouvernement de la CAQ a pris le train du développement économique, MM. Legault et Fitzgibbon sont descendus à la station “Baie-James”. Et ils y sont toujours… »

Nous sommes plusieurs à partager cette inquiétude.

Mais je promets d’habiter la bulle du gouvernement, de demeurer réceptif pendant l’exercice.

1. Lisez la chronique de Francis Vailles « Le Québec, paradis fiscal des alumineries » 1. Lisez une autre chronique de Francis Vailles, « Aluminerie : le manque à gagner est de 1,4 milliard pour Hydro » 2. Lisez la chronique de Michel C. Auger : « Descendus du train à la station “Baie-James” »

Entre nous

Parlant d’énergie, un bon livre écrit sur le sujet par un Québécois : Jusqu’à plus soif – Pétrole-gaz-éolien-solaire : enjeux et conflits énergétiques, d’Yvan Cliche.

Jusqu’à plus soif – Pétrole-gaz-éolien-solaire : enjeux et conflits énergétiques

Jusqu’à plus soif – Pétrole-gaz-éolien-solaire : enjeux et conflits énergétiques

Fides

272 pages