Cet été, les brasiers provoquent beaucoup de drames humains et environnementaux. Symptomatiques des changements climatiques, ils s’imposent comme une nouvelle normalité avec laquelle il faudra malheureusement apprendre à composer. Après l’enfer qu’on a vu avancer sur l’île de Maui et les brasiers qui ont semé la panique dans bien des communautés d’ici, les incendies menacent maintenant la ville de Yellowknife et forcent sa population à la quitter.

Même les plus imperturbables des climatosceptiques commencent à changer d’idée, vaincus par cet enfer qui se profile devant les enfants terribles de la biosphère que nous sommes.

Lorsque les brasiers avancent, en plus des tristes tragédies humaines, on assiste à une hécatombe silencieuse de la flore et de la faune.

Par exemple, on estime que les incendies qui ont dévasté l’Australie en 2019 et 2020 ont provoqué la mort ou la migration de près de trois milliards d’animaux. On parle ici de 2,46 milliards de reptiles, 180 millions d’oiseaux, 143 millions de mammifères et 51 millions de batraciens. Au moins 5000 koalas ont connu une fin atroce dans ces flammes. Le chercheur de l’Université de Sydney Chris Dickman, qui a coordonné cette macabre étude, ajoute que même après leur extinction, les incendies ont continué à faire des victimes. En effet, de nombreux animaux qui avaient survécu aux flammes ont été emportés par le manque de nourriture, mais aussi d’abris pour se protéger des prédateurs.

Il en va de même pour les humains, car en plus des morts et des dégâts matériels, les impacts psychologiques de ses brasiers risquent de se perpétuer. Comment se remettre de ces effrayantes menaces qui forcent les gens à fuir avec la famille en espérant que la maison ne sera pas emportée par les flammes ? Pour tous ces déplacés, les étés risquent d’être de plus en plus anxiogènes.

Le feu, c’est cet ami d’hier devenu une véritable menace planétaire. Sa « domestication » est d’ailleurs une des incontestables spécificités de notre espèce. Sapiens, c’est l’animal qui allume le feu. Cette trouvaille révolutionnaire, présentée par certains spécialistes comme le premier convertisseur d’énergie externe, a tracé notre histoire depuis au moins 400 000 ans. Bien avant les moulins à vent et à eau, les machines à vapeur, les moteurs à combustion interne, l’ampoule électrique et autres, il y avait le bois qui brûle. Cette maîtrise du feu allait offrir un tremplin aux humains qui, jusque-là, n’avaient que leur force musculaire comme principale source d’énergie. Trouver une façon de faire jaillir la flamme des étincelles permit à nos ancêtres très lointains de s’éclairer la nuit, d’éloigner les prédateurs, d’améliorer les outils de chasse, de se protéger du froid, de cuisiner leur nourriture et de modifier le paysage en leur faveur.

Pour ces chasseurs-cueilleurs, le feu sera synonyme d’un mystérieux pouvoir qui permet à l’humain de s’attribuer une part de divin. Par le feu, l’humain est devenu l’animal technologique qui fabrique des choses. Pour le feu, il a aussi massacré les forêts, les baleines et fouillé dans les entrailles de la Terre pour en sortir le charbon, le pétrole et le gaz qui ont permis d’alimenter les moteurs des voitures, des avions, des trains, des bateaux et des usines qui font rouler l’économie mondiale et avancer les machineries de guerre.

Nous avons trop longtemps joué avec le feu et maintenant, c’est le feu qui semble vraiment en pétard contre nous.

Et, parlant de jeu, de pétard et de feu, permettez-moi, avant de terminer de partager avec vous cette question qui m’obsède depuis quelque temps. Est-ce que je suis le seul à penser que les Grands Feux Loto-Québec ont vraiment fait leur temps ? Peut-être même que c’est la pertinence de tous les feux d’artifice qui mérite une réflexion de fond à la grandeur du Canada. En ces étés anxiogènes où les brasiers font leurs lots de déplacés et de victimes, continuer de fermer le pont Jacques-Cartier pour faire sauter des pétards est-il vraiment un projet d’avenir ? Ces feux de joie sont un énorme calvaire pour les gens qui butent sur les cônes orange annonçant la fermeture du pont. À l’heure où les problèmes de mobilité urbaine sont omniprésents dans le discours politique, est-ce qu’on a encore besoin de cet évènement ?

Chose certaine, on ne peut continuer à s’inquiéter de la qualité de l’air de la métropole tout en investissant dans cette manifestation qui contribue largement à la dégrader. Oui, je sais qu’il y a des gens qui travaillent très fort pour programmer et offrir ces spectacles pyrotechniques aux amateurs, mais après autant d’années de pétarades, on peut passer à autre chose ou réduire ces festivités à une seule fin de semaine !

La planète est dans de grosses turbulences qui risquent certainement de s’amplifier. Alors, cette remise en question des célébrations sur fond de pétard mérite d’être considérée. Surtout quand on passe l’été à dire aux jeunes de ne pas allumer des feux de camp ou à regarder des gens fuyant les brasiers aux quatre coins du Canada.

Content de vous retrouver, chers lecteurs et lectrices.