Jadis, les mains dans les poches, le badaud québécois pouvait s’émerveiller longtemps devant la nouvelle tondeuse d’un voisin. Un modèle à essence qui lui donnait le goût de catapulter le sien – celui avec le long fil branché au mur extérieur du garage – au royaume des objets désagréables et dangereux à utiliser. Bien qu’il notait que le modèle dernier cri pouvait mettre un peu plus de temps à démarrer, un constat s’imposait : vite chez Pascal se le procurer !

Aujourd’hui, ces mêmes mains reposeraient plutôt sur un téléphone intelligent qui balaierait le web à la recherche de produits concurrents et de commentaires d’utilisateurs sur l’ergonomie de la tondeuse et la puissance de son moteur. Notre badaud pourrait même recevoir le produit chez lui dans une boîte prédisposée à faire le chemin inverse dans l’éventualité d’un changement d’humeur.

Dans son rapport avec les détaillants, le consommateur a pris beaucoup de galon. Et c’est tant mieux. La concurrence a forcé les entreprises à être plus ingénieuses et à investir dans la fidélité.

Mais cette recherche du meilleur et du parfait édulcore à l’occasion la perspective du consommateur sur les services publics. Et comme il s’agit de ses impôts, ses attentes atteignent parfois des seuils déraisonnables.

Un peu comme le 31 juillet dernier – une panne avait gâché le lancement officiel du REM, provoquant des retards importants en matinée. Les réseaux d’information continue (et les réseaux sociaux) repassaient les mêmes images du REM immobilisé quelque part sur la Rive-Sud. Les touristes de passage à Montréal ont probablement cru qu’une catastrophe frappait la métropole. Même La Presse a joué le jeu des hyperboles – son éditorial le lendemain (« Comment rater sa première impression ») jouait beaucoup sur l’arbre plutôt que sur la forêt.

Peut-être suis-je seul dans mon camp, mais ma première impression du REM remonte à bien plus loin que le 31 juillet 2023. L’annonce même du REM en 2016 par les gouvernements et la Caisse de dépôt et placement m’avait renversé. Grandiose, le projet prévoyait près de 70 kilomètres desservis par un réseau de transport collectif électrique. Des quartiers montréalais autrefois plus faciles à visiter à cheval qu’en transports en commun (pensez au West Island) connectés les uns aux autres avec une fréquence à faire rêver les Suisses. Le REM passerait aussi par l’aéroport Trudeau, lui permettant finalement d’accueillir ses voyageurs avec une desserte plus audacieuse que des taxis et des bus à départs aléatoires. Montréal, il fallait l’admettre, s’offrirait un service public qui allait faire l’envie de plusieurs villes plus populeuses partout sur la planète.

Et mes premières impressions favorables se sont poursuivies en 2017 lorsque l’Assemblée nationale a adopté une loi permettant au REM de voir le jour et que le gouvernement du Québec a confirmé une participation financière importante. Et encore en 2018 et 2019 en voyant ces chantiers de construction se multiplier sur la Rive-Sud, sur l’autoroute 40 et au centre-ville.

Je reconnais – pour en avoir moi aussi subi les inconvénients – les tracas que posent ces chantiers imposants partout à Montréal. À l’époque pas si lointaine où Montréal construisait deux grands hôpitaux (le CUSUM et le CHUM) et agrandissait l’hôpital Sainte-Justine, les Montréalais se plaignaient beaucoup de l’impact sur la circulation. Mais avec le recul, qui regrette ce legs d’infrastructures médicales de pointe ?

Il me semble pertinent de rappeler, surtout avec les épisodes bouleversants de chaleur extrême et d’incendies des derniers mois, les bienfaits du REM sur l’environnement.

Des milliers de nos concitoyens, certains quotidiennement, d’autres occasionnellement, pivoteront de l’auto vers le REM. Boston, une ville souvent comparée à Montréal, doit mourir d’envie lorsqu’elle analyse l’impact du REM. La ville a fait l’expérience d’un projet de construction considérable lorsqu’elle a bâti une série de tunnels sous la ville pour faciliter la circulation automobile (le Big Dig). Le projet a mis plus de 15 ans à se réaliser et a coûté l’équivalent de plusieurs REM. Les architectes du projet n’ont probablement pas éliminé une seule auto, mais ont réussi le test inavoué le plus important – s’assurer que les fans des Red Sox arrivent au Fenway Park avant la troisième manche.

Soyons réalistes, le REM connaîtra d’autres épisodes comme celui du 31 juillet. Son rayon va prendre de l’ampleur avec l’ouverture des autres antennes du réseau. Je présume qu’il y aura beaucoup d’ajustements à faire avec les trains et le nouveau circuit (y compris le tunnel sous la montagne). De grâce épargnons-nous des états généraux et des effets de toge à chaque panne. Plutôt que de juger le REM à la seule photo du 31 juillet, ne pouvons-nous pas attendre de remplir quelques pages de l’album ?

* Banquier, l’auteur a été membre du gouvernement de Stephen Harper. Il siège aussi au conseil d’administration d’une société qui a participé à l’élaboration du REM.