Incendies de forêt, météo en dents de scie, chaos dans les aéroports, mais aussi inauguration d’une nouvelle structure de transports en commun et phénomènes culturels intrigants… L’été qui s’achève nous a offert sa part d’inquiétudes et de joie. Notre chroniqueur résume le tout en 10 mots-clés.

Barbenheimer

Le 21 juillet, les Américains et les Canadiens ont découvert en même temps les films Barbie et Oppenheimer, deux productions diamétralement opposées. Cela n’a pas empêché les internautes et les gourous du marketing d’inventer et de colporter l’expression Barbenheimer. En fait, cette stratégie (puisque c’en est une) repose sur le principe de la contre-programmation. On lance le même jour deux superproductions aux tonalités différentes afin de créer une fausse rivalité. Résultat, les deux publics envahissent les salles pour voir le film qu’ils défendent. Certains ont voulu voir les deux films quasi en même temps. Ils en sont ressortis… abasourdis. Quant aux producteurs, ils ont du mal à compter les millions qu’ils empochent.

Évacuation

PHOTO FOURNIE PAR PLANET LABS PBC

Image satellite des incendies de forêt au sud-est de Radisson, le 13 juin dernier. Le plus gros feu de l’histoire du Québec a forcé la Ville de Radisson à évacuer ses citoyens.

Qui aurait dit au printemps dernier que des centaines de familles allaient devoir procéder à l’évacuation de leur maison à cause d’incendies dévastateurs. Quand on regarde la définition du verbe « évacuer », on tombe sur « rejeter ». On ne peut pas être rejeté ou éjecté de sa maison… C’est impensable ! C’est pourtant ce que des centaines de familles ont vécu. Elles ont dû tout laisser derrière elles dans l’urgence et l’affolement, rongées par la peur de tout perdre. Certaines ont tout perdu… Tout est à recommencer. Il leur faudra trouver un nouveau toit, recréer le cocon dans lequel elles vivaient. Cet été, nous avons appris que cette maison que l’on croit être un inébranlable rempart peut devenir un petit point orange dans le rétroviseur de la voiture.

Tracances

PHOTO FIRDIA LISNAWATI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Bien qu’avec les orteils dans le sable, les tracances ne sont pas le meilleur moyen pour décrocher.

Beaucoup de gens ont vécu cet été des tracances sans le savoir. Ce terme, que j’ai beaucoup entendu ces dernières semaines, est un mot-valise formé de « travail » et « vacances ». Sa façon de s’infiltrer dans nos habitudes m’inquiète au plus haut point. Quand un patron t’invite à aller travailler les deux pieds dans le sable au bord de la mer (tendance chez les entrepreneurs riches qui ont à cœur le bien-être de leurs employés), c’est une chose. Mais quand tu apportes ton travail dans les vacances que tu es censé vivre avec tes proches, c’est autre chose. Héritage de la COVID-19 et du télétravail, ce concept ne permet pas d’atteindre l’objectif principal : décrocher ! Qu’on se le dise, des tracances ne sont pas des vacances.

REM

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

La lune de miel a été de courte durée pour les usagers du nouveau REM.

Le mot REM est enfin devenu une réalité pour les Montréalais le week-end des 29 et 30 juillet. Après deux journées de rêve et une foule record de 120 000 passagers, les nombreuses critiques ont pris le dessus : interruptions de service, pannes d’ascenseurs et d’escaliers roulants, signalisation défaillante, système de paiement encore en chantier… Les chroniqueurs s’en sont donné à cœur joie. Quant aux usagers, ils ont pris d’assaut les réseaux sociaux pour dénoncer les désagréments que ce nouveau mode de transport cause dans leur quotidien. On espère fortement que CDPQ Infra, l’ARTM et la STM tireront de nombreuses leçons de cette expérience lors du dévoilement de la phase 2.

Surtourisme

PHOTO BRUNA CASAS, ARCHIVES REUTERS

Certains résidants de villes hypertouristiques, comme Barcelone (ci-dessus), rêvent de voir les touristes rentrer chez eux.

On a beaucoup parlé de surtourisme au cours de l’été. Certaines villes en souffrent plus que d’autres. Paris, Berlin, Barcelone et Londres font face à des défis environnementaux importants. Venise tente de trouver des moyens de limiter le nombre de visiteurs. J’avoue que la méthode utilisée par un groupe anticapitaliste pour éloigner les touristes sur les plages de Majorque m’a fait rire. Sur de faux panneaux, on a écrit (en anglais) qu’il faut faire attention aux méduses, aux chutes de pierres et que la mer est polluée par des eaux usées. Quelques lignes de texte en catalan disent toutefois aux habitants que ces avertissements ne sont pas vrais. Nous en sommes là !

Laiteux

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Les incendies de forêt ont plongé les Montréalais dans le smog au début de l’été.

Combien de fois les météorologues des radios et des télés ont-ils parlé d’un « ciel laiteux » ? Le début de l’été a été marqué par une longue période (déprimante) où le firmament s’est couvert d’un voile épais à cause des incendies qui ravageaient nos forêts. Jour après jour, nous avions au-dessus de la tête un dur rappel des effets des changements climatiques. On a aussi beaucoup entendu les mots « veille », « avertissement » et « alerte ». Organiser un pique-nique est devenu un pari risqué, une sorte d’aventure à la Indiana Jones. Entre deux alertes tonitruantes émanant de notre téléphone, nous avons appris qu’il ne faut jamais rien tenir pour acquis dans la vie, surtout pas le soleil.

Metalligai

PHOTO YVES TREMBLAY, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE, AGENCE LES YEUX DU CIEL

Le dimanche 13 août, une foule bigarrée d’environ 90 000 personnes était présente aux abords du Stade.

L’équipe du Parc olympique voulait frapper un grand coup et elle a atteint son objectif en attirant au Stade une foule monstre venue assister aux spectacles de Metallica et du festival Fierté Montréal. Le dimanche 13 août, environ 90 000 personnes ont formé une foule bigarrée, néanmoins harmonieuse, en se rendant à ces deux évènements. Je m’attendais à du grabuge, des insultes ou des escarmouches, rien de tout cela ne s’est produit. Parmi les moments hauts en couleur que j’ai pu observer, je retiens celui d’un métalleux qui a dit à son ami métalleux, lorsqu’il est passé devant l’entrée menant au festival Fierté Montréal : « Heille, le gros, ça a toujours été ton fantasme ! Vas-y ! C’est le moment ! »

Skiplagging

PHOTO MAJA SMIEJKOWSKA, ARCHIVES REUTERS

Un voyageur à l’aéroport londonien d’Heathrow, le 22 août

Pour parler du joyeux bordel qui a parfois régné dans nos aéroports, j’aurais pu utiliser les mots « retardés » ou « annulés ». Mauvais temps, pénurie de personnel, avions surréservés, tout cela a contribué à gâcher les vacances de milliers de voyageurs au cours de l’été. Mais le mot qui a attiré mon attention est skiplagging (qu’on pourrait traduire par « billet pour ville cachée »). Ce nouveau phénomène consiste à se procurer un billet avec escale (souvent moins cher) et à descendre à cette escale au lieu de la destination. Il faut évidemment mettre ses bagages dans la cabine. Et attention pour le retour ! Des compagnies aériennes (qui tentent de combattre cette pratique) peuvent annuler votre vol lorsqu’elles découvrent le stratagème.

Complosphère

PHOTO ALKIS KONSTANTINIDIS, ARCHIVES REUTERS

Un homme marche sur l’autoroute, alors que des incendies de forêt font rage en banlieue d’Athènes, le 22 août. Partout dans le monde, les météorologues qui font un lien entre les changements climatiques et les phénomènes météorologiques extrêmes qui se sont multipliés au cours des derniers mois sont pris pour cible par la complosphère.

L’univers des complotistes a maintenant un mot pour qu’on puisse l’identifier : complosphère. Après la twittosphère et la blogosphère, voilà une nouvelle sphère dans laquelle on peut rassembler ceux qui s’en sont pris joyeusement aux météorologues sur les réseaux sociaux. Pour les complotistes ou les climatosceptiques, les liens établis entre les changements climatiques et ce que nous avons vécu au cours des derniers mois ne tiennent pas la route. Même les experts qui ont « fait leurs recherches » en publiant de solides analyses n’arrivent pas à les convaincre. Partout sur la planète, en France, aux États-Unis, en Espagne ou chez nous, les météorologues passent un mauvais quart d’heure. Misère…

Pinkydoll

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

La tiktokeuse montréalaise Pinkydoll

Pinkydoll est le phénomène le plus étrange de l’été. En direct sur TikTok, une jeune femme répète à l’infini des phrases vides de sens sur un ton robotique comme « Ice cream so good ». Mais ce qui est encore plus étonnant, c’est que ce concept, qui remporte un succès monstre, est porté par une Montréalaise. Pour exprimer leur admiration, ses admirateurs lui envoient des autocollants qui sont une sorte de monnaie virtuelle. Je me suis attardé quelques minutes sur le charabia de Pinkydoll… Conclusion : cette tiktokeuse devrait regarder les vieux spectacles de Laurie Anderson d’il y a 40 ans, elle découvrirait qu’elle n’a rien inventé.