Mon indécrottable optimisme envers l’avenir du Québec me vient de ma longue fréquentation de sa littérature, j’en suis certaine. En ce sens que je vis un peu dans un monde parallèle et beaucoup plus complexe que les grands titres anxiogènes que je ne comprends pas toujours quand je sors le nez d’un bon livre québécois – essai, roman, poésie, peu importe.

De retour de deux semaines en France où le Québec a brillé au Festival du livre de Paris comme invité d’honneur, je rattrape l’actualité en retombant dans ces mêmes débats qui existent depuis bien avant ma naissance. La survivance du français, l’impact de l’immigration sur notre destin, et comme d’habitude, on se chamaille sur les statistiques.

Cette semaine à l’émission Tout un matin, les chroniqueurs Dimitri Soudas et Émilie Nicolas ont commenté la récente étude de l’Office québécois de la langue française sur la langue dans les commerces – cet irritant bonjour-hi –, mais aussi le prochain plan d’action sur le français du ministre Jean-François Roberge.

Émilie Nicolas a critiqué les indicateurs utilisés pour prouver le déclin du français, soit la langue maternelle, la langue parlée à la maison et la première langue officielle parlée. « Lorsqu’on mesure la force ou la faiblesse du français avec l’indicateur de la langue maternelle, ce qu’on est en train de dire est que si vous n’êtes pas né francophone, vous ne serez jamais assez francophone », a-t-elle dit, en soulignant que son collègue Dimitri Soudas, qui parle pourtant très bien français à la radio d’État, contribuerait selon ces indicateurs à ce déclin.

  • Dimitri Nasrallah

    PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

    Dimitri Nasrallah

  • Alain Farah

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

    Alain Farah

  • Yara El-Ghadban

    PHOTO ANDREJ IVANOV, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

    Yara El-Ghadban

  • Lula Carballo

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    Lula Carballo

  • Rodney Saint-Éloi

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    Rodney Saint-Éloi

  • Adib Alkhalidey

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    Adib Alkhalidey

  • Nicholas Dawson

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    Nicholas Dawson

  • Mani Soleymanlou

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    Mani Soleymanlou

  • Dany Laferrière

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    Dany Laferrière

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Mais revenons à la littérature, qui est ma spécialité et mon principal indicateur de la vitalité de notre culture – les enjeux sont différents pour la musique, le cinéma ou la télévision, des secteurs davantage frappés par le rouleau compresseur des géants numériques.

L’écrivaine Mélikah Abdelmoumen, directrice de la revue LQ (anciennement Lettres québécoises), a lancé cette semaine sur les réseaux sociaux une liste des auteurs et autrices du Québec qui sont immigrants ou descendants d’immigrants, exaspérée d’entendre encore une fois ce discours présentant l’immigration comme une menace à la survie de la culture québécoise.

Comme les internautes rajoutaient des noms, la liste s’est rapidement allongée : Kim Thúy, Sergio Kokis, Caroline et Nicholas Dawson, Abla Farhoud, Yara El-Ghadban, Rodney Saint-Éloi, Alain Farah, Lula Carballo, Maya Ombasic, Wajdi Mouawad, Dany Laferrière, Mani Soleymanlou, Aki Shimazaki, Olivia Tapiero, Karine Rosso, Adib Alkhalidey, Ying Chen, Dimitri Nasrallah, Edem Awumey, Naïm Kattan, Régine Robin, Ayavi Lake… On pourrait continuer très longtemps comme ça, et c’est tant mieux, car il y a une quarantaine d’années, la liste aurait été bien plus courte.

D’ailleurs, dans la décennie 1990, devant un phénomène qui prenait de l’ampleur, soit celui de ces plumes venues d’ailleurs ou qui racontaient un parcours différent de celui des Canadiens français « de souche », on se demandait si c’était vraiment de la littérature québécoise, si ça entrait dans le grand projet d’une littérature nationale, et comme l’humain a un fort penchant pour les catégories, on rangeait souvent ces livres dans le rayon de la « littérature migrante ». Quelques esprits chagrins y voyaient aussi une mode, et des voleurs de prix littéraires (dans une suite logique des « voleurs de jobs », j’imagine).

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Mélikah Abdelmoumen

La preuve qu’on avance, et que je vois toujours le verre à moitié plein, est qu’on n’aurait pas idée aujourd’hui de cantonner Alain Farah, Kim Thúy ou Lula Carballo dans la « littérature migrante ». Il va de soi maintenant que ce sont des auteurs québécois, qui contribuent au rayonnement de notre littérature – sans oublier que certains de ces écrivains sont parfois des professeurs de lettres qui enseignent nos classiques.

En scrutant la liste des noms sur la page de Mélikah Abdelmoumen, j’ai constaté que j’avais lu les trois quarts de ces écrivains-là, non par bonté d’âme ou pour « m’ouvrir à l’autre », ni pour respecter des quotas de diversité, mais simplement parce qu’ils faisaient partie de la rentrée littéraire québécoise à un moment ou un autre. Que par leurs livres, écrits en français (et souvent en québécois), et non dans leur langue maternelle pour plusieurs, j’ai compris intimement combien le Québec changeait, la richesse des bagages de mes contemporains, la brûlante actualité de nos enjeux, la passion pour ce territoire, et nos lieux communs. Tout ça très loin d’un passé idéalisé ou de la nostalgie du pays de nos parents, dans un présent en mutation et en marche, rempli de défis. J’ai ainsi vu le Québec par de multiples prismes et regards, c’était parfois dur et peu reluisant, mais nécessaire, toujours éclairant et inspirant.

Et tous ces livres sur des décennies n’ont fait qu’alimenter ma confiance en un avenir collectif, et m’ont causé aussi, je dois l’avouer, une dissonance cognitive avec les discours sombres et catastrophistes sur notre survivance.

Que voulez-vous, la lecture à forte dose, ça configure le cerveau autrement.