Lire a gardé l’autrice et journaliste Claudia Larochelle en vie. C’est ce qu’elle a dit, dans d’autres mots, dans une lettre ouverte à La Presse il y a quelques années. Ces paroles sont à la source de Lire pour vivre, documentaire présenté à Savoir Média où on s’intéresse aux impacts sociaux de la fréquentation des livres.

L’idée du documentaire a germé dans la tête de Michel Pelletier, réalisateur de l’émission Claudia à la page. Touché par la lettre ouverte lue dans La Presse dans laquelle, au-delà de son expérience personnelle, Claudia Larochelle plaidait pour une réelle prise en compte des bienfaits de la lecture, il a eu envie de creuser le sujet en sa compagnie.

Si Claudia Larochelle croit tant aux bienfaits de la lecture, c’est que les livres ont été sa bouée de sauvetage dans un moment creux de sa vie. Jeune adolescente, à 14 ans, elle a sombré dans une dépression, jusqu’à ne plus oser sortir de chez elle. Elle s’est réfugiée dans les livres. Cet épisode de sa vie est le point de départ de sa quête.

Lisez la lettre ouverte de Claudia Larochelle

Devant la caméra de Michel Pelletier, l’autrice et journaliste parle de l’apprentissage de la lecture, du désintérêt pour les livres, de l’impact économique positif d’une meilleure littératie ou encore des dommages sociaux causés par l’analphabétisme. Claudia Larochelle s’intéresse aussi aux meilleurs moyens pour redonner le goût de la lecture.

« Je voulais embrasser large parce que je cherche des pistes de solution partout, à l’extérieur de l’école, notamment », dit-elle, en donnant l’exemple du rôle capital que peuvent jouer les bibliothèques publiques, où les bibliothécaires motivés peuvent devenir des allumeurs de réverbères.

Le plaisir de lire

Après avoir retrouvé l’enseignante qui lui a appris à lire et à écrire lorsqu’elle était enfant, l’autrice se retrouve devant un éloquent défenseur de la lecture : le romancier français Daniel Pennac, qui a publié il y a plus de 30 ans un fabuleux essai sur la lecture intitulé Comme un roman.

Son approche est celle du plaisir de lire. Avec sa verve habituelle, il rappelle ce moment magique où l’indéchiffrable commence à faire sens pour un enfant, cet émerveillement d’enfin savoir lire. « Après, ça se dégrade, regrette-t-il. Petit à petit, on va faire de cette lecture un devoir et, de ce devoir, une réponse évaluative. Le charme va se briser, jusqu’à disparaître. »

L’usage des livres dans l’enseignement occupe une part congrue du documentaire. Claudia Larochelle montre une enseignante qui sait mieux que d’autres comment utiliser la foisonnante littérature jeunesse pour intéresser les enfants. L’animatrice souligne aussi qu’il y a bien des professeurs qui n’aiment pas lire. « On ne peut pas tout demander au milieu scolaire non plus, estime-t-elle. C’est une affaire qui concerne aussi le foyer familial. »

Lire pour vivre réussit une chose pas si courante : parler de littérature et d’accès à la littérature, en évitant le snobisme. Claudia Larochelle s’assied devant des gens éloquents, dépourvus de condescendance, dont le propos est accessible.

Elle a voulu des « gens de cœur », pour éviter toute forme d’hermétisme et parler au plus grand nombre. Car la lecture concerne tout le monde.

Un retard à combler

Historiquement en retard, notamment en raison de la longue emprise de l’Église catholique sur la population, le Québec compte 53 % de citoyens possédant des compétences de lectures insuffisantes pour déchiffrer des textes complexes (le niveau 3 des compétences en littératie). L’atteindre est tout à fait possible pour le tiers (34 %) d’entre eux, qui sont déjà au niveau 2, souligne l’économiste Pierre Langlois.

Il rappelle aussi qu’un peuple qui lit mieux est plus instruit et en meilleure posture sur le plan économique. Les difficultés de lecture, en revanche, rendent la population moins apte à suivre les débats politiques et à participer à la vie citoyenne de manière éclairée. On le voit beaucoup sur les réseaux sociaux, souligne-t-il : en lisant les commentaires laissés pas certains internautes à la suite d’un article, on se demande souvent s’ils en ont bien saisi les enjeux.

Lire pour vivre s’inquiète du peu de place qu’occupe la littérature dans la vie publique, souligne le préjugé défavorable envers les littéraires qu’entretient une partie de la population, mais n’est pas catastrophiste pour autant. C’est un film empreint de générosité où de grands lecteurs font aussi partager leur passion.

L’actuel ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, est de ceux-là. Issu d’un milieu plus difficile, passé d’une famille d’accueil à une autre, il a, comme Claudia Larochelle, trouvé refuge dans les livres. Et y a puisé l’élan qui allait le propulser. « Si je suis ministre de la Culture aujourd’hui, c’est grâce aux livres. J’en suis sûr. »

Mardi, 18 h, sur Savoir Média