Longtemps démonisée, l’intelligence artificielle est mise au service des séries télé québécoises. Des fictions comme L’empereur, Une affaire criminelle et Indéfendable s’en servent déjà. Pour toutes sortes de raisons.

C’est ce qu’on a appris mercredi au 24e congrès annuel de l’Association québécoise des productions médiatiques (AQPM), organisé à Saint-Hyacinthe. Lors d’un panel de discussion, les productrices Sophie Deschênes et Laurence Deschênes-Tremblay, de Sovimage (Avant le crash, Faits divers), ont présenté leurs observations après avoir testé divers outils basés sur l’intelligence artificielle (IA).

La paire s’était prêtée au même exercice l’année précédente, en utilisant ChatGPT pour aménager des horaires de tournage, une tâche souvent complexe et laborieuse, aux allures de casse-tête, en raison des disponibilités des comédiens et des techniciens, des emplacements, etc. Les résultats s’étaient toutefois avérés non concluants. Les calendriers comportaient plusieurs erreurs.

PHOTO MYRIAM BARIL TESSIER, FOURNIE PAR L’AQPM

Anne-Valérie Tremblay, de l’AQPM (à gauche), animait mercredi un atelier réunissant les productrices Sophie Deschênes et Laurence Deschênes-Tremblay, l’ingénieur et expert en intelligence artificielle Alexei Nordell-Markovits et l’avocate Caroline Jonnaert.

Douze mois plus tard, les nouvelles expériences ont donné des résultats plus probants. Sur Une affaire criminelle, série policière d’anthologie diffusée sur Noovo, l’intelligence artificielle est venue sauver les meubles en postproduction, pour « nettoyer » les bruits ambiants d’une scène importante. La séquence avait été tournée au bord de l’eau, au cours d’une journée particulièrement achalandée côté trafic maritime. Conséquence : on entendait les bateaux gronder lorsque les comédiens livraient leurs répliques.

PHOTO YAN T, FOURNIE PAR BELL MÉDIA

Alice Moreau et Julie Le Breton dans la deuxième saison d’Une affaire criminelle

Après avoir essayé de corriger le problème de différentes manières, l’équipe s’est servie d’un module d’extension (plus communément appelé « plug-in ») exploitant l’IA, et quelques minutes plus tard, le tour était joué. « Ce bidule a sauvé toute la scène », a commenté Sophie Deschênes.

« Si on avait eu l’intelligence artificielle quand on tournait Les pays d’en haut, ça nous aurait simplifié la vie, a ajouté la productrice. Chaque fois qu’un avion passait, on devait tout arrêter. Parce qu’en série d’époque, tu n’es pas supposé entendre un avion voler ! »

L’IA s’est aussi montrée utile sur L’empereur, pour corriger, en postproduction, une scène dans laquelle un personnage prononçait un nom fictif de commerce qu’il fallait changer, puisqu’il n’avait pas passé le test de l’avocat, car il existait déjà. En 30 secondes, ChatGPT a généré cinq options valides de substitution, lesquelles respectaient notamment le nombre de syllabes du terme inscrit au départ (un prérequis, puisqu’il s’agissait d’un plan rapproché et qu’on voyait les lèvres de l’actrice bouger).

Des résumés d’épisodes

En prenant soin d’obtenir l’autorisation des personnes concernées, Sovimage a également effectué des tests pour concocter des résumés d’épisodes d’Avant le crash avec l’IA générative. Après quelques essais infructueux, Laurence Deschênes-Tremblay a trouvé un programme payant capable de synthétiser une heure de série en quelques phrases.

Sovimage n’est pas l’unique boîte de production à s’intéresser à l’intelligence artificielle. Pixcom (Alertes) s’en sert déjà pour générer des résumés d’épisodes d’Indéfendable, nous confirme son premier vice-président, contenu et création, Charles Lafortune. L’entreprise l’utilise également pour retranscrire et synthétiser des séances de remue-méninges, expérience que Sovimage a tentée avec plus ou moins de succès au moyen des programmes MeetGeek, Zoom et Microsoft Teams.

PHOTO FOURNIE PAR TVA

Sébastien Delorme dans Indéfendable

Formation à venir

L’utilisation de l’intelligence artificielle devrait gagner du terrain en télévision au cours des prochains mois, puisque l’Institut national de l’image et du son (INIS) proposera d’ici quelques semaines une première formation pour « démystifier » cette technologie, a-t-on appris.

« Compte tenu des questionnements que l’intelligence artificielle génère dans notre milieu, nous souhaitons montrer, de manière générale, quels types d’usages nous pouvons en faire », précise le directeur général de l’établissement d’enseignement, Jean Hamel, joint au téléphone.

Pour l’INIS, il s’agit d’une première étape en prévision d’ateliers plus pointus qui seront donnés l’automne prochain. « Nous avons le mandat de développer des formations qui peuvent être utiles à plusieurs joueurs du secteur audiovisuel : des producteurs, des scénaristes, des techniciens, des réalisateurs », indique Jean Hamel.

L’initiative suscite déjà beaucoup d’intérêt, notamment chez KOTV (Zénith, L’œil du cyclone). Le directeur général de l’entreprise, Louis-Philippe Drolet, compte y inscrire quelques personnes, non pas pour « remplacer l’humain », mais pour « accélérer et optimiser certains processus ».

Mauvaise presse

L’intelligence artificielle n’a pas toujours eu bonne presse au cours des dernières années. Elle s’est d’ailleurs retrouvée au cœur des grèves à Hollywood en 2023. Du côté des scénaristes comme du côté des comédiens, on craignait qu’elle soit utilisée de manière abusive et qu’elle mette en péril des emplois.

L’INIS estime avoir un rôle à jouer dans cette discussion. « C’est un outil avec lequel on sera amené à travailler, souligne Jean Hamel. On veut montrer les meilleures pratiques à adopter. »

Malgré quelques expériences concluantes, la productrice Sophie Deschênes avoue craindre, encore aujourd’hui, l’intelligence artificielle. « Je reste prudente, affirme la présidente de Sovimage en entrevue. Ça peut nous aider dans certaines situations. Ça peut nous donner des pistes pour perfectionner nos méthodes et gagner du temps, mais je pense que l’humain va toujours devoir repasser dedans. Et pour tout ce qui concerne la création, je dis non merci.

« Nos auteurs sont talentueux. Ils ont de bonnes idées. »

Les frais d’hébergement pour ce reportage ont été payés par l’AQPM, qui n’a eu aucun droit de regard sur le contenu de cet article.