On cite beaucoup Netflix, Prime Video et Disney+ lorsqu’on parle des géants américains contre lesquels Radio-Canada, TVA, Noovo et Télé-Québec se battent pour obtenir les faveurs du public. On négligerait toutefois la menace d’une autre force majeure : YouTube.

D’après les résultats d’un sondage de Global World Index, présentés mardi au congrès annuel de l’Association québécoise des productions médiatiques (AQPM), YouTube arrive en deuxième position des plateformes de diffusion en continu les plus populaires au Canada francophone. Et ce, chez tous les groupes d’âge.

« C’est une grosse surprise », observe Florence Girot, cheffe de l’innovation au Fonds des médias du Canada.

YouTube talonne Netflix auprès des 16-24 ans (68 % contre 75 %), des 25-34 ans (61 % contre 75 %), des 35-44 ans (58 % contre 64 %), des 45-54 ans (48 % contre 54 %) et même des 55-64 ans (37 % contre 42 %), alors qu’on aurait pu croire que seuls les plus jeunes étaient susceptibles de passer des heures à explorer ses moindres recoins, à grands coups de recherches de vidéos de chats, de gaffes et d’extraits souvenirs.

Au palmarès global, 54,4 % des sondés francophones fréquentent YouTube. Le site web d’hébergement de vidéos arrive derrière Netflix (61,9 %), mais devance Prime Video (36,6 %), Disney+ (29,7 %), ICI Tou.tv (17,4 %), Crave (7,9 %), AppleTV+ (7,0 %) et Club illico (6,4 %).

« Ça montre le niveau de pénétration d’une plateforme comme YouTube, qui change nos habitudes de consommation, commente Florence Girot en entrevue. Ça en fait un concurrent encore plus important qu’on le pensait. »

D’après Florence Girot, YouTube pourrait bientôt dépasser Netflix au Canada, comme il l’a fait aux États-Unis, en février 2023. Depuis, il trône au sommet des parts de visionnement.

Ça s’en vient ici. Chez YouTube, ils savent très bien ce qu’ils font. Ils ont une vraie stratégie d’expansion, au même titre que TikTok. Le président-directeur général de YouTube, Neal Mohan, est très clair : ils visent l’écran du salon.

Florence Girot, cheffe de l’innovation au Fonds des médias du Canada

« YouTube, c’est Google… Ce n’est pas rien, ajoute-t-elle. C’est la force des données, c’est l’intelligence artificielle. C’est un gros, gros joueur. Et c’est un joueur qui n’est pas réglementé comme les autres. Mais il fait pleinement partie du paysage audiovisuel. Il faut en tenir compte. »

Le défi des téléviseurs connectés

Parlant des téléviseurs connectés, qui nous permettent de regarder Netflix et compagnie directement dans notre salon, de manière directe (par WiFi) ou indirecte (au moyen d’une clé de diffusion), leur popularité ne cesse de grimper, révèlent les données de Global World Index. En 2023, 73,5 % des sondés francophones affirmaient en posséder, un bond de 18 points de pourcentage par rapport à 2020 (55,3 %).

Or, ces « télévisions intelligentes » offrent rarement les applications ICI Tou.tv et Club illico. En revanche, leur interface propose systématiquement Netflix, Prime Video, Disney+ et, bien entendu, YouTube.

Pour donner une chance aux plateformes d’ici, Florence Girot n’envisage qu’une solution : la réglementation.

« La seule façon de contraindre les fabricants, c’est de leur dire que s’ils veulent vendre des télévisions connectées au Canada, ils devront proposer des joueurs canadiens. »

Paroles de ministres

Tenu au Centre des congrès de Saint-Hyacinthe, le 24e congrès de l’AQPM accueille 450 professionnels de l’audiovisuel, producteurs et diffuseurs, jusqu’à ce mercredi. Il survient au terme d’une année tumultueuse pour l’industrie, marquée notamment par des coupes chez TVA, Radio-Canada et Bell Média.

Le thème du rendez-vous reflète les préoccupations du milieu : Exister, s’adapter, évoluer.

La présidente-directrice générale de l’AQPM, Hélène Messier, a mené des entretiens avec deux ministres durant la journée. Au provincial, Mathieu Lacombe (Culture et Communications) a évoqué une réforme du système de financement des productions audiovisuelles. Au fédéral, Pascale St-Onge (Patrimoine canadien) a réitéré la promesse électorale du Parti libéral d’augmenter les enveloppes réservées aux productions francophones, pour réduire l’écart avec leurs pendants anglophones. Selon les plus récentes données du Fonds des médias du Canada fournies par l’AQPM, le budget moyen d’une heure de fiction en anglais s’élève à 2,4 millions, alors qu’en français, il n’atteint que 620 000 $.

Pascale St-Onge a également abordé la révision du mandat de CBC/Radio-Canada. La ministre s’est fixé un échéancier : elle souhaite consulter son comité d’experts au cours des trois prochains mois, pour proposer une vision « enthousiasmante » l’automne prochain, a-t-elle déclaré au micro.

Réchapper les jeunes

Ailleurs, une discussion réunissant des dirigeants des quatre chaînes généralistes (Radio-Canada, TVA, Noovo et Télé-Québec) a bifurqué sur l’importance de reconquérir l’auditoire jeunesse, qui déserte la télévision québécoise.

S’ils ne développent aucun attrait pour notre culture, on soupçonne un réel péril.

Nadine Dufour, vice-présidente des contenus de Télé-Québec

Les émissions de « coviewing » (qui rassemblent toute la famille – parents et enfants – autour du téléviseur) semblent porter leurs fruits. Parmi les exemples probants, on note Survivor Québec, STAT et Alertes.