Avant une pièce de théâtre ou un concert, les artistes font habituellement une tournée d’entrevues dans les médias. Le public est curieux de connaître leur processus créatif, leurs motivations, leurs doutes…

On s’intéresse toutefois peu à celle ou celui qui est assis dans l’obscurité et qui assiste au spectacle.

Ce spectateur tapi dans l’ombre, c’est vous et moi.

On a franchi la porte d’un théâtre ou d’une salle de concert, on a sagement pris sa place, et on attend impatiemment que les lumières s’éteignent en espérant que la magie opère.

Mais pourquoi sommes-nous là, au juste ? Que sommes-nous venus chercher ?

C’est la question que pose la journaliste culturelle Émilie Perreault, animatrice de la quotidienne Il restera toujours la culture sur ICI Première. Émilie a commencé à s’intéresser aux effets positifs de l’art avec son livre Faire œuvre utile, en 2017. À l’époque, elle tenait la chronique culturelle à l’émission de Paul Arcand, au 98,5.

Dans son livre, elle donnait la parole à des gens qui avaient été bouleversés par une œuvre d’art et elle les faisait rencontrer l’artiste qui avait créé cette œuvre si déterminante dans leur vie.

La journaliste confiait que c’était une pièce de théâtre, Variations énigmatiques d’Éric-Emmanuel Schmitt, qui l’avait d’ailleurs poussée à devenir chroniqueuse culturelle. Elle parlait d’une véritable illumination en décrivant ce qu’elle avait ressenti devant le jeu de Guy Nadon et Michel Rivard.

Le livre Faire œuvre utile avait ensuite donné lieu à une série documentaire qui a connu trois saisons, et qu’il est impossible de regarder sans une grosse boîte de mouchoirs à ses côtés.

Quand la magie opère

J’avais interviewé Émilie Perreault à la sortie de son livre. Ses propos de l’époque montrent qu’elle a de la suite dans les idées : « Je ne suis pas une artiste, me disait-elle il y a sept ans. Je m’identifie davantage au spectateur et je trouve ça chouette de mettre tous ces gens en valeur. C’est eux qui font vivre la culture, qui se déplacent, qui vont voir les œuvres, les spectacles. Mais la caméra est toujours de l’autre côté. »

C’est exactement le propos du spectacle La suspension consentie de l’incrédulité, présenté chez Jean-Duceppe ces jours-ci, et qui sera repris en novembre à la Cinquième Salle de la Place des Arts.

Pendant une heure, la journaliste nous parle du pouvoir transformateur de l’art du point de vue de celui ou celle qui regarde, écoute ou reçoit une œuvre.

Émilie est fascinée par le processus qui fait en sorte que le spectateur accepte la convention. Qu’il oublie le travail, la fatigue, le stress, le siège plus ou moins confortable ou le voisin qui développe son bonbon. Et qu’il est happé jusqu’à en perdre la notion du temps quand la magie opère.

On a tous en tête une de ces soirées où on est sorti d’une pièce de théâtre ou d’un concert complètement galvanisé. C’est vrai que c’est magique.

Émilie Perreault, qui est aussi l’autrice du livre Service essentiel : Comment prendre soin de sa santé culturelle, insiste : elle n’est pas une artiste. Dans son spectacle, la journaliste remet en question le mythe tenace du critique qui serait « un raté sympathique », pour reprendre les mots de Robert Charlebois, tout en étant consciente de l’ironie qu’il y a à tenir ces propos debout sur une scène…

Avec finesse, elle aborde aussi la difficile relation entre le critique et l’artiste, une relation qu’on dirait impossible tellement elle est faite d’incompréhension et de frustrations.

Non, les critiques ne sont pas des artistes frustrés, rappelle Émilie Perreault. Ce sont des gens qui aiment profondément l’art, qui s’en nourrissent, et dont le travail consiste à expliquer et décortiquer une œuvre tout en partageant leur enthousiasme et leurs bémols avec le public.

J’aimerais que les créateurs voient ce spectacle et saisissent la main tendue d’Émilie pour rétablir ce dialogue pas toujours facile.

Un propos qui porte

Mes collègues critiques vous parleront sans doute de la mise en scène dénudée, de la drôlerie de Marc Labrèche en narrateur ou du formidable aplomb d’Émilie Perreault sur scène.

J’aimerais simplement dire un mot sur le lieu où est présenté le spectacle : dans les coulisses du théâtre Jean-Duceppe. On se trouve dans un espace habituellement inaccessible, entre la scène et la salle, dans cet interstice qu’Émilie tente justement de combler avec son spectacle. C’est un choix très ingénieux.

Chacun a sa façon d’apprécier un spectacle. Moi, je m’appuie sur deux critères : est-ce que j’en parle encore une fois rendue au resto ? Et est-ce que j’y pense encore plusieurs jours après l’avoir vu ? Si je réponds oui à ces deux questions – et c’est le cas avec le spectacle d’Émile Perreault –, c’est que la cible est atteinte.

J’ai envie de donner un petit conseil à Émilie en terminant : achète-toi une valise, chère collègue ! J’ai comme l’impression que ton spectacle pourrait faire le tour du monde tellement ton propos est universel, tout comme la discussion qu’il suscite.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue