Un fonctionnaire corrompu de Montréal fait face à la justice⁠1 et, quelques jours plus tard, Forbes annonce, encore une fois, l’augmentation du nombre et de la richesse des milliardaires dans le monde⁠2. Le premier évènement me donne l’occasion de vous parler des outils de tous les jours qui permettent aux élus de protéger les fonds publics. Le second devrait nous rappeler que c’est la corruption des esprits qui menace le plus les fonds publics.

La direction générale de la Ville

Durant ma carrière, j’ai reçu quelques messages, souvent anonymes, de gens qui dénonçaient des pratiques qu’ils croyaient frauduleuses de la part de fonctionnaires. Par exemple, l’utilisation des biens de la Ville à des fins personnelles ou encore la « paresse » de certains employés⁠3. Chaque fois, un suivi était fait, la direction générale enquêtait et, s’il y avait lieu, des sanctions administratives étaient prises. N’hésitez jamais à communiquer avec la Ville, d’abord en passant par le 311, puis, si nécessaire, par les élus. Des vérifications seront faites.

Le vérificateur général

Le vérificateur général de la Ville⁠4 est un outil particulièrement intéressant pour un élu, notamment parce qu’il apporte une opinion qui s’ajoute à celle de la direction générale, parfois en la contredisant.

Le vérificateur général est totalement indépendant et choisit les dossiers auxquels il s’attaque. Toutefois, quand un élu a un doute quelconque sur une pratique municipale, il peut l’en informer et le vérificateur choisit d’y jeter un coup d’œil ou non. Son mandat est très large, il peut enquêter sur tout ce qui lui semble pertinent dans le contexte d’une saine gestion : efficience, efficacité, économies possibles, conformité, etc.

Au moins une fois par année, le maire est convié formellement à rencontrer le vérificateur général et les vérificateurs externes, sans la présence de fonctionnaires⁠5 (évidemment, rien n’empêche le maire d’appeler le vérificateur général à n’importe quel autre moment). Les vérificateurs posent des questions au maire sur les risques financiers auxquels la Ville peut être confrontée. Le maire peut lui aussi exprimer des inquiétudes sur n’importe quelle pratique ou service municipal, ou encore sur des organisations qui se trouvent dans le périmètre comptable de la Ville.

Au cours de mes années à la mairie de Gatineau, j’ai exprimé des craintes, posé des questions, proposé des sujets d’investigation. Parfois, les vérificateurs me rassuraient en m’expliquant une mécanique administrative que je maîtrisais mal et, à d’autres moments, ils prenaient des notes et me revenaient plus tard. Quelquefois, j’ai vu apparaître, dans l’un de leurs rapports annuels, le sujet que j’avais soulevé auprès d’eux.

Le vérificateur général est, de loin, l’outil de saine gestion administrative que je préfère, c’est un contre-pouvoir précieux.

La police

Il est arrivé qu’un citoyen m’écrive avec des allégations de corruption dans un appel d’offres paramunicipal. Ne sachant pas à quel niveau hiérarchique le problème pouvait se situer, j’ai fait directement appel à la police plutôt que de passer par l’administration (les allégations étaient finalement infondées).

Dans un grand projet, nos fonctionnaires soupçonnaient fortement la présence de collusion, mais la complexité du dossier dépassait leurs capacités d’enquête. Nous avons envoyé le dossier à l’Unité permanente anticorruption (UPAC), une organisation qui n’a pas uniquement comme mandat d’enquêter, mais aussi de prévenir et de vérifier, ce qui peut être très utile pour une municipalité (dans le dossier concerné, l’UPAC a enquêté et, à ce que je sache, elle n’a rien trouvé).

Là où il y a de l’homme, il y aura toujours de l’hommerie. Le combat contre la malhonnêteté est sans fin. Heureusement, chaque fois que les bandits innovent, l’État tente d’innover à son tour.

Toutefois, la malhonnêteté de certains individus n’est pas la principale menace pour les fonds publics, la corruption des esprits fait beaucoup plus de tort.

Certains élus ne voteront jamais contre un projet de promoteur. Jamais. J’en ai même connu un qui définissait carrément son rôle comme celui de représentant des gens d’affaires. Alors que je venais d’être élu maire, un ancien élu m’a dit, en montrant du doigt un promoteur immobilier : « Ton rôle, c’est que ce gars-là soit content. » Pour eux, l’intérêt collectif passe par la satisfaction des entrepreneurs. Pour eux, le développement ne peut être qu’économique. Pour eux, l’Ontario, plus riche, l’emporte sur le Québec, plus heureux.

Selon le rapport 2017 d’Oxfam-Québec, huit individus possédaient autant que 3,6 milliards de personnes, c’est-à-dire la moitié de l’humanité la plus pauvre. Ce genre de déséquilibre odieux se produit quand, dans la tête de nos dirigeants, intérêt particulier devient synonyme d’intérêt collectif. Malheureusement, il n’existe pas de vérificateur général ou de service de police pour contrer cette corruption des valeurs. Il n’y a que l’instruction, l’information et l’engagement politique.

1. Lisez notre article « Un gestionnaire de la Ville aurait “réglé” des dossiers pour un promoteur immobilier » 2. Lisez un article du Courrier international 3. Lisez la chronique « Cinq cols bleus autour d’un trou »

4. Seules les villes de 100 000 habitants et plus ont l’obligation d’en avoir un.

5. Le vérificateur externe effectue chaque année l’audit des états financiers de la Ville. Le vérificateur général a un mandat beaucoup plus large et voit aussi aux enjeux de gestion.

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