Depuis une dizaine de jours, les tentes sont réapparues dans le paysage montréalais. Je ne parle pas des tentes qui servent d’abris de fortune aux personnes en situation d’itinérance. Je parle bien entendu du campement propalestinien de l’Université McGill qui rappelle les tentes du mouvement Occupy, en 2011, et du mouvement étudiant, en 2015.

Toit pour les tribus nomades, équipement de camping qui a permis de démocratiser le voyage, la tente représente aussi la précarité lorsqu’elle devient un abri temporaire pour les personnes sans toit permanent, ou pour les réfugiés.

Mais que représente la tente lorsqu’elle est plantée dans l’espace public, dans un contexte militant ?

J’en ai discuté avec Patrick McCurdy, professeur agrégé au département de communication de l’Université d’Ottawa. McCurdy est un des coauteurs de l’ouvrage Protest Camps, paru en 2013.

Le professeur McCurdy m’explique que le camp de protestation tel qu’on le connaît aujourd’hui trouve son origine dans les camps de droits civiques des années 1960, aux États-Unis.

Le campement militant est le descendant direct, selon le professeur, de ce qu’on a appelé Resurrection City, à Washington, une manifestation dont l’idée avait été lancée par Martin Luther King et la Southern Christian Leadership Conference. Ce camp, qui a pris forme sur le célèbre National Mall, un mois après l’assassinat de MLK, voulait attirer l’attention sur la pauvreté que subissaient les plus démunis de la société américaine.

Pour Martin Nadeau, chargé de cours en sociologie à l’UQAM, il y a aussi un lien à faire entre les campements d’aujourd’hui et les premiers sit-in d’étudiants américains dans les années 1960. « J’y vois aussi un lien direct avec le mouvement d’opposition à la guerre du Viêtnam et même avec les bed-in comme celui de John Lennon et Yoko Ono, ajoute-t-il. Dans tous les cas, on revendiquait une forme de paix. »

La tente stimule la réflexion

La tente – et par extension, le campement – fait partie du répertoire des actions de mobilisation contemporaines qui s’offrent aux militants. C’est un outil démocratique, car facile d’accès. « Tout le monde peut emprunter une tente et l’emporter dans un espace public », note le professeur McCurdy.

Alors que les gouvernements préfèrent souvent démanteler les campements de sans-abri qui incarnent de manière crue les crises sociales de l’heure, la « tente militante » s’est taillé une place aux côtés de la pancarte et du gilet jaune comme symbole de protestation. Elle nous invite à réfléchir, à prendre position.

« La tente occupe un espace physique et donc, un espace dans notre champ visuel et notre esprit, souligne Patrick McCurdy. C’est une intervention qui nous oblige à nous arrêter et à prêter attention à une question. »

La tente est pacifiste. On l’associe aux campements de réfugiés et en se l’appropriant, les militants lancent le message qu’ils souhaitent se mettre dans la peau des personnes déracinées.

Martin Nadeau, chargé de cours en sociologie à l’UQAM

Un modèle de communauté

Le campement incarne deux choses. C’est une tactique militante, mais c’est aussi une façon de vivre, même si elle est temporaire. « Le campement est une forme d’infrastructure, note le professeur McCurdy. On s’y retire pour dormir et pour manger. C’est intéressant d’observer comment on s’organise dans un campement. Il faut trouver de la nourriture, de l’électricité, des toilettes. »

Au-delà de l’aspect matériel des choses, la vie dans le campement en vient aussi à incarner un idéal pour ceux qui l’occupent.

« On dit souvent que nous vivons dans une société hyper-individualiste, qu’on assiste à l’érosion du sens de la communauté, note Patrick McCurdy. Or, les campements sont des villages, avec une bibliothèque, des espaces communs pour se rassembler, organiser des ateliers, discuter. »

La vie en campement est-elle une forme d’utopie ?

« Dans notre livre, nous consacrions un chapitre à ce que nous appelions “alternative worlds”. La société capitaliste nous encourage à travailler, à être productif, à faire nos choses. Le campement, lui, est un espace physique pour arrêter et réfléchir à ce qui pourrait être différent. »

Peut-être qu’on reprochera aux militants d’être trop idéalistes, mais le campement est un espace pour ce genre d’idées.

Patrick McCurdy, professeur agrégé au département de communication de l’Université d’Ottawa

« Le campement a pour objectif d’arriver à une forme de dialogue constructif », renchérit Martin Nadeau, de l’UQAM.

« C’est un rite de passage et un apprentissage citoyen pour les étudiants, poursuit-il. Dans le campement de McGill, les jeunes prennent position pour autre chose que leur propre petite personne. C’est une étape de la vie et une forme de sociabilité démocratique. Qui sait, il y a peut-être des carrières politiques qui naîtront de là ? »

Pour sa part, le professeur de l’Université d’Ottawa remarque que les demandes en provenance du campement propalestinien de Montréal sont précises. « On peut être en désaccord avec les demandes du campement de McGill, mais elles ont le mérite d’être claires », dit-il.

S’ils avaient écrit une lettre demandant « s’il vous plaît, pouvez-vous discuter de vos investissements lors de votre prochain conseil d’administration ?, l’université aurait pu ignorer leur lettre. Le campement est un rappel à l’ordre. »

Jusqu’ici, le campement de McGill n’a provoqué aucun acte de violence. Érigé sur le campus de l’université, entre deux sessions, il ne bloque pas la circulation et dérange peu de monde. Sa présence est un appel à réfléchir à des questions complexes de manière pacifique. La tente, symbole d’échange et de discussion ? Ça me plaît.

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