Imaginez que vous êtes un maire ou une mairesse de la région de Montréal et que vous devez rencontrer la ministre des Transports pour discuter du financement des transports en commun.

Une ministre qui a récemment déclaré que les transports en commun, ce « n’est pas une mission de l’État », contrairement aux routes. Et qui, 10 jours plus tard, a dit qu’elle veut en fait « contrôler le destin du transport collectif ».

Auriez-vous l’impression que vous allez discuter avec quelqu’un de sérieux ?

D’autant que les élus municipaux savaient déjà que la ministre allait profiter de la rencontre de lundi pour leur annoncer officiellement qu’elle veut créer une agence (une autre !) qui portera le nom de Mobilité Infra Québec.

Infra – impossible de ne pas faire le lien – comme dans CDPQ Infra, qui construit le Réseau express métropolitain (REM) et qui va cannibaliser les revenus des sociétés de transport pour l’avenir prévisible.

CDPQ Infra, à laquelle la ministre a aussi demandé de trancher dans le dossier du tramway de Québec, « parce que l’expertise se trouve chez CDPQ Infra » et pas dans son ministère.1

Mais une agence n’est peut-être pas la panacée, même si le gouvernement Legault semble vouloir que l’exemple de la santé soit suivi ailleurs.

Parce que ce qu’on va peut-être gagner en efficacité, on va le perdre en responsabilité et en transparence. On n’a qu’à voir l’opacité avec laquelle CDPQ Infra a mené – et le fait encore aujourd’hui – la construction du REM pour s’en convaincre.

De même, on peut regarder le bilan d’une autre agence de création relativement récente : l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM). Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ARTM a un bilan plus que mitigé.

Elle a bien sûr réglé la question des tarifs, ce qui n’est pas rien puisqu’il existait quelque chose comme 700 titres de transport différents sur l’ensemble de son territoire.

Mais son grand plan de transport pour toute la région a été désavoué par le gouvernement du Québec. Son projet structurant de plus de 36 milliards de dollars pour l’est de Montréal a été rejeté du revers de la main par le gouvernement du Québec, le premier ministre François Legault le jugeant irréaliste.

En fait, même dans les petites choses – comme l’harmonisation de la signalisation entre le REM et la station de métro Bonaventure et la gare Centrale –, l’ARTM n’a réussi à démontrer ni son efficacité ni son agilité.

On ne peut pas juger d’avance des résultats d’une agence des transports au sein de laquelle les meilleurs experts de planification et de construction de grands projets travailleraient ensemble.

Mais elle ne pourra être un succès que si on fait les investissements requis dans le transport collectif, ce qui n’a pas été la priorité du gouvernement Legault depuis son arrivée au pouvoir.

Il ne servira à rien non plus de se contenter de regrouper les meilleurs éléments dans une agence pour penser à de nouveaux projets, car cela ne réglera pas le sous-financement des réseaux actuels de transport collectif.

Par exemple, l’état des infrastructures du métro de Montréal est plus que préoccupant et on attend toujours le feu vert de Québec pour remplacer la seconde génération des voitures du métro, les MR-73, qui sont en service depuis plus d’un demi-siècle.

De même, il existe toujours un danger que l’on construise à grands frais de belles et nouvelles infrastructures en laissant se détériorer ce qui existe déjà. C’est un peu ce qui est arrivé pendant que l’on construisait le CHUM et le CUSM à Montréal, pendant que l’hôpital Maisonneuve-Rosemont ou le CHU Sainte-Justine se dégradaient rapidement. Mais il y a plein d’exemples semblables un peu partout au Québec.

Évidemment, les maires et mairesses vont être polis, même s’ils voient tout cela. Ils ont rencontré la ministre pour que le gouvernement assume une part du déficit dit conjoncturel des sociétés de transport. Un déficit qui est attribuable au faible achalandage depuis la pandémie.

Dans ce dossier, le gouvernement a toutes les cartes dans son jeu et, pour les maires et mairesses, le silence est d’or. Mais il ne faudrait surtout pas prendre leur silence comme une forme d’acceptation.

Pas étonnant qu’il y ait une crise dans les conseils municipaux et que, depuis les dernières élections en 2021, environ 10 % des élus municipaux ont démissionné.

Comme le disait la mairesse de Sherbrooke, Évelyne Beaudin, en annonçant qu’elle ne se représenterait pas : « Le municipal est en première ligne de tous les enjeux sociaux. Malgré cela, le gouvernement ne nous écoute pas, il nous laisse se dépêtrer seuls avec nos enjeux, et ce, même si on sert les mêmes citoyens et citoyennes. »

C’est vrai dans la plupart des dossiers, mais c’est particulièrement le cas pour le transport collectif. C’est pour cela que la ministre ferait bien de ne pas trop interpréter leur silence.

1. Lisez notre entrevue avec Geneviève Guilbault Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue