(Québec) Bon pour faire des routes, moins pour concevoir des projets de transport collectif : c’est le dur constat que fait la ministre Geneviève Guilbault au sujet de son ministère. L’expertise, selon elle, se trouve chez CDPQ Infra, un acteur au cœur du projet d’agence des transports censé réduire les délais et les coûts qui sera présenté au début de l’année prochaine.

« Est-ce que ce sera une agence, est-ce qu’on le fera à même le gouvernement ? C’est tout ça qui est en réflexion. Mais chose certaine, il faut fonctionner différemment en transport collectif […] et concentrer notre expertise. Si je laisse ça tel quel, comme c’est en ce moment, je vais repartir du Ministère et ça va être exactement le même enjeu », affirme la principale intéressée, en entrevue dans ses bureaux de Québec.

Au mois d’août, La Presse avait révélé que Québec voulait transférer une partie des responsabilités du ministère des Transports et de la Mobilité durable à une nouvelle agence afin de mieux gérer les projets d’infrastructure. Le premier ministre François Legault avait ensuite précisé que le mandat de l’agence porterait sur les projets de transport collectif d’abord. Objectif : diminuer les retards, les dépassements de coûts, et faire atterrir les projets.

L’arrivée de cette agence ferait en sorte qu’à Montréal, le rôle de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), dont le travail a été critiqué plus d’une fois par le gouvernement, serait à tout le moins revu.

La composition et le mandat de cette agence se définiront au retour des Fêtes, par l’entremise d’un projet de loi. Mais selon nos informations, le projet est très avancé, il a même failli être annoncé durant la plus récente campagne électorale, en 2022.

Mme Guilbault affirme que le cas du tramway de Québec, qui n’a attiré qu’un seul soumissionnaire pour son matériel roulant, « démontre qu’on a un manque d’attractivité sur le marché ». « Ça montre aussi l’avantage qu’on aurait à se doter de modalités de réalisation plus agiles, plus efficientes, avec une nouvelle façon de faire des projets. Ça nous aiderait à atteindre nos objectifs de réalisation et de coût », dit-elle.

« Fine connaissance » recherchée

« Au Ministère, ils ont toujours fait des routes et ils ont l’expertise là-dedans », poursuit Geneviève Guilbault, avant d’ajouter peu après que pour le transport collectif, « la fine connaissance pour faire ce genre de projet, au gouvernement, elle n’est pas suffisante actuellement ».

Même à l’extérieur du gouvernement, « le nombre d’experts en grands projets de transport collectif, il n’y en a pas tant que ça au Québec », ajoute-t-elle.

À part la STM, qui a livré le métro dans les dernières décennies, qui a livré un grand projet de transport collectif dans l’histoire contemporaine ? C’est CDPQ Infra.

Geneviève Guilbault

Entre les lignes, on comprend aisément que le rôle de la Caisse serait donc intimement lié à la future agence que prépare le gouvernement. Déjà, en plus du Réseau express métropolitain (REM) à Montréal, la filiale de la Caisse de dépôt vient de recevoir deux mandats de taille à Québec : proposer un scénario de système de transport structurant, le projet de tramway ayant été mis sur la glace, et un autre pour le troisième lien.

Le modèle financier du REM « n’est pas obligé de se reproduire tel quel non plus, mais ça montre qu’il y a d’autres façons de faire, alors est-ce qu’on peut s’ouvrir à différentes façons de réaliser les projets ? », s’interroge Mme Guilbault. « Il y a diverses façons de réaliser des projets, de faire des montages financiers. »

L’ARTM, à l’inverse, pourrait perdre des plumes, même si son rôle en demeure davantage un de planification et non de réalisation. « Il faut que ça ait des avantages aussi d’avoir l’ARTM », glisse d’ailleurs Mme Guilbault. « Il y a beaucoup de critiques, on les entend et on les comprend. […] Mon objectif, quand je suis arrivée, ce n’était pas de l’abolir, mais en même temps, il faut que ça marche », ajoute-t-elle.

Ultimement, trop d’acteurs autour de la table quand vient le temps de planifier un projet, « ça peut diluer la capacité d’avoir une vision et une planification », avance sans équivoque la ministre des Transports.

« Désillusion » sur le troisième lien

Mis sur la glace, puis ressuscité après la défaite caquiste dans Jean-Talon, le projet de troisième lien autoroutier Québec-Lévis aurait pu être mieux géré d’un point de vue de communication, évoque par ailleurs Geneviève Guilbault. « J’ai l’impression que la brutalité de l’annonce, en avril, ça a amené un choc. Et ensuite, une sorte de désillusion. Après, il y a eu la défaite dans Jean-Talon et le discours général où on sent que ça a déçu beaucoup de gens », dit-elle. Selon elle, le gouvernement a présentement « une énorme pression de livrer à Québec », même si tout le monde est « très conscient du déficit de crédibilité qu’on a en ce moment à cause de ces variations-là ».

Le « fond du problème » en financement

Elles sont à peine terminées pour 2024, mais déjà, les négociations pour le financement du transport collectif devront reprendre pour établir un plan sur cinq ans. « Moi, je fais le pari que, les choses étant ce qu’elles sont, même le jour où elles seront à 100 % d’achalandage, les sociétés de transport vont nous dire qu’elles ont besoin d’aide d’urgence. Alors à quel moment on se retire de ce concept-là d’urgence et on s’attaque au fond du problème, qui est la structure de financement ? », commente la ministre à ce sujet. Les audits de performance que Québec a lancés sur les 10 sociétés de transport permettront déjà de voir comment « optimiser les dépenses et les revenus », conclut Mme Guilbault.