(Québec) Le gouvernement Legault veut donner un « superpouvoir » aux villes, pour passer outre la « mélasse » des règles d’urbanisme et mettre un frein au « pas dans ma cour ». L’objectif : construire plus rapidement et en hauteur. Les partis de l’opposition craignent l’apparition de verrues urbaines et un retour du favoritisme et de la collusion, mais dans ce combat, le gouvernement a l’appui des maires, qui applaudissent l’initiative.

Entre un voisin « qui ne verra plus son coucher de soleil » et un taux d’inoccupation de 0,4 % accompagné d’une hausse importante du coût de la propriété, le maire de Rimouski, Guy Caron, a fait son choix.

Il est de ceux qui utiliseraient avec plaisir ce nouveau pouvoir conféré par Québec. La ville du Bas-Saint-Laurent veut construire des logements, et vite. Mais son plan d’urbanisme date de 2014, et il mise surtout sur les jumelés et les maisons unifamiliales.

Chaque fois qu’on propose un projet de trois ou quatre étages, on risque le référendum.

Guy Caron, maire de Rimouski

« Ça peut fonctionner comme il faut, mais ça prend du temps. Et tout le temps que ça prend pour bâtir l’acceptabilité des projets en amont, ce n’est pas du temps où on construit et on passe à d’autres projets », explique-t-il.

Amendement surprise

Au début du mois de novembre, la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, a pris de court les villes, ainsi que le milieu de l’urbanisme et de la construction. Elle a déposé de façon inusitée un amendement surprise à son projet de loi sur le logement, davantage connu pour mettre fin à la cession de bail.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau

Il permettra aux municipalités de plus de 10 000 habitants ayant un taux d’inoccupation inférieur à 3 % de sauter les étapes d’approbation pour les projets d’habitation, qu’ils respectent ou non la réglementation urbanistique, pendant une période de cinq ans. Seule condition : il faut tenir une assemblée publique.

Québec a deux objectifs. Le premier : encourager les villes à autoriser des projets « davantage agressifs au plan de la densité ». Les projets de logements qui ont plus d’étages que ce que les règles de zonage permettent seront protégés des référendums citoyens.

« La plupart des plans d’urbanisme sont à faible densité. Ça explique pourquoi, systématiquement, tous les projets qui s’éloignent de ce qui est prévu se retrouvent dans des situations de référendum, de pas dans ma cour », a noté en commission parlementaire Jocelyn Savoie, sous-ministre adjoint au ministère des Affaires municipales et de l’Habitation.

Et le deuxième est de permettre aux élus municipaux de faire sauter des étapes d’approbation pour autoriser un projet de logement jugé urgent.

On vient donner de la souplesse. Tout ça est pris dans la mélasse, c’est trop lent, trop contraignant. Il y a une crise, il faut agir.

La ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, en commission parlementaire

C’est cet aspect qui intéresse particulièrement la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier. « Il y a parfois tellement de comités : comme le comité consultatif en urbanisme, le comité démolition. Il y a une multiplication des délais, de la paperasse », affirme-t-elle.

« Je ne l’utiliserais pas pour tous les projets, ça va être au cas par cas, mais si un projet répond à des besoins importants en matière d’habitation et d’abordabilité, ça va peser dans la balance », affirme Catherine Fournier.

Le président de l’Union des municipalités du Québec, Martin Damphousse, renchérit. Il estime que le problème du « pas dans ma cour » est hors de contrôle. « C’est incroyable comment on est pris avec ça », a-t-il dit. À Varennes, dans sa ville, des projets de trois ou quatre étages sont bloqués, même s’il doit densifier pour éviter de gruger les terres agricoles.

Ils veulent rassurer la population : ce n’est pas parce qu’ils utiliseront cette voie rapide que les projets réalisés seront moins beaux, ou que l’acceptabilité sociale ne sera plus un facteur.

Risque de collusion

Mais à Québec, les partis de l’opposition estiment que cet amendement risque de favoriser la collusion, ainsi que la construction de bâtiments laids et mal intégrés à leur environnement.

Ce n’est pas la densification qui me fait peur, c’est l’arbitraire et le risque de dérive.

Virginie Dufour, députée libérale

« Le Ministère dit : les villes se gouvernent mieux, ce n’est pas la même cohorte d’élus. Mais j’ai des doutes. Il y a de moins en moins de médias régionaux. Oui, je l’ai, cette crainte. Ça s’est fait dans le passé. Là où il y a de l’homme, il peut y avoir de l’hommerie », dit la libérale Virginie Dufour.

Car les promoteurs se retrouveraient à négocier directement avec les élus du conseil municipal pour obtenir cette voie rapide. C’est ce qui inquiète le péquiste Joël Arseneau, qui cite en exemple les Îles-de-la-Madeleine, son coin de pays.

« On pourrait créer de la villégiature avec de grands condos vendus à trois millions pièce dans le meilleur site aux Îles. Le pouvoir de l’argent est fort. La pression serait très forte sur les élus, avec les moyens licites et illicites disponibles aux promoteurs. Je ne veux pas les soumettre à cette pression », a-t-il affirmé.

Ils demandent des garde-fous. Le député de Québec solidaire, Andrés Fontecilla, ne s’oppose pas complètement à la méthode Duranceau, mais aimerait qu’elle ne concerne que le logement social et le logement étudiant, par exemple.

C’est aussi la solution proposée par Vivre en Ville. « Là où on prendrait moins de risque, c’est en allant vers le logement hors marché, à but non lucratif. Essayons-le avec ce type de logement et on verra ce que ça donne », laisse tomber le directeur de l’organisme, Christian Savard.

L’ordre des urbanistes s’oppose également à cette voie rapide et dit craindre la construction de bâtiments qui cadrent mal avec leurs quartiers.

Statu quo intenable

Pour l’industrie, la situation actuelle est intenable. Louis-Benoît L’Italien-Bruneau est directeur stratégique en urbanisme pour la firme Paré+. « Il y a du pas dans ma cour partout, partout, partout. […] La population, qui tient à ce que les choses ne changent pas. Mais ça doit changer, parce que les conditions de marché ont changé, et parce que la protection de l’environnement nous l’impose », dit-il.

Il souligne que les projets qui ne se construisent pas ont une conséquence : ils forcent les jeunes familles à aller s’établir toujours plus loin en provoquant de l’étalement urbain.

Je vais prendre une solution imparfaite, plutôt que de prendre le statu quo.

Louis-Benoît L’Italien-Bruneau, directeur stratégique en urbanisme pour la firme Paré+

Il estime qu’avec cette voie rapide, un projet « de grande envergure » pourrait être approuvé en cinq ou six semaines. « C’est un game changer. J’ai des projets qui respectent les règles en vigueur, et ça fait deux ou trois ans qu’on travaille dessus », laisse-t-il tomber.

Selon un sondage commandé par l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec, il y a près de 25 000 unités de logement en attente d’être construites, et qui sont bloquées, principalement, par le risque « de processus référendaire et du phénomène de pas dans ma cour », dit Fabrice Fortin.

Il croit que la crise justifie les mesures fortes, qu’elles soient réglementaires ou financières, et rejette du revers de la main la crainte d’une dérive éthique.

Même son de cloche à l’Association de la construction du Québec. « On fait confiance aux maires et mairesses et aux conseillers municipaux », souligne Guillaume Houle. « Les amendements sont temporaires. Ce volet temporaire est hyper important. On ne veut pas sabrer la démocratie, mais dans un contexte de crise, on se doit de faire plus vite », ajoute-t-il.

Des exemples de « pas dans ma cour »

Pierrefonds-Roxboro

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Moins d’une trentaine de citoyens de Pierrefonds ont réussi à bloquer l’ajout de 111 logements tout juste à côté de la station Sunnybrooke du REM.

Moins d’une trentaine de citoyens de Pierrefonds ont réussi à bloquer l’ajout de 111 logements tout juste à côté de la station Sunnybrooke du REM, dans un secteur dévitalisé du boulevard Gouin. « Le projet est complètement abandonné », dit Maxime Laporte, vice-président, développement immobilier, chez Quorum, visiblement déçu. « Quelque chose qu’on propose qui est en adhésion parfaite avec le PMAD [Plan métropolitain d’aménagement et de développement], la densification, les aires TOD [pôle de transport collectif], la mixité, et qui se fait dire non. C’est un exemple assez marquant du phénomène ‟pas dans ma cour” », déplore le promoteur.

Lisez le texte « Un autre cas de “Pas dans ma cour” »

Beauport

IMAGE FOURNIE PAR BILD IMMOBILIER

À l’origine, en 2020, le projet du promoteur Bild Immobilier à Beauport prévoyait 81 logements sur quatre étages. Il n’en prévoit plus que 34 en 2022.

Un promoteur a vu son projet ratatiner de version en version par manque « d’acceptabilité sociale », « notamment en raison des conséquences du projet sur la percée visuelle sur le fleuve à partir de l’avenue Royale ». À l’origine, en 2020, le projet prévoyait 81 logements sur quatre étages, il n’en prévoit plus que 34 en 2022. Mais des citoyens se plaignent toujours. « Je suis toujours en désaccord, et ceci, depuis mai 2020, pour changer le zonage pour permettre la construction d’édifices à logements », écrit l’un d’eux à la Ville de Québec.

Québec

IMAGE FOURNIE PAR LA VILLE DE QUÉBEC

Un aperçu du Kali, projet immobilier dans le quartier Saint-Sauveur, à Québec

Des citoyens s’opposent à un projet immobilier dans le quartier Saint-Sauveur, sur les terrains d’un ancien restaurant. Le projet prévoit la construction d’un immeuble de 5 étages comprenant 55 logements et a l’appui du conseil de quartier, mais des citoyens exigent un référendum.

Lisez le texte « Saint-Sauveur grogne contre le Kali »