(Ottawa) L’incapacité chronique d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) à répondre à des questions simples continue d’embourber l’accès à l’information. Voilà maintenant que les conséquences du statu quo ont contaminé une agence fédérale.

La commissaire à l’information du Canada, Caroline Maynard, avait déjà semoncé IRCC il y a trois ans. Le Ministère avait enregistré 116 928 demandes d’accès à l’information en 2019-2020, en provenance de gens en quête d’informations généralement simples.

Le problème est loin de s’être dissipé : en 2022-2023, il y a eu 184 587 demandes d’accès à l’information. Pire, le problème a fait tache d’huile : l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en fait maintenant les frais avec 18 889 demandes reçues pour 2022-2023.

Ensemble, l’an dernier, les deux entités ont totalisé 86 % du nombre total des demandes d’accès reçues au sein des institutions assujetties à la Loi sur l’accès à l’information. Près de la moitié des demandes à IRCC (44 %) vient d’avocats et de consultants en immigration.

Le problème mis en relief dans le rapport est que les requérants vont désormais cogner aux deux portes dans l’espoir de mettre la main sur les mêmes renseignements. « C’est de l’information qui ne devrait pas être obtenue à travers un système d’accès à l’information », s’est désolée la commissaire en entrevue, mardi.

C’est de l’information de base, par exemple, des statuts d’applications d’immigration. C’est comme si je vous disais de faire une demande d’accès pour avoir de l’information sur votre rapport d’impôt. C’est de l’information qui vous appartient.

Caroline Maynard, commissaire à l’information du Canada

Et « rien n’indique que cette situation changera dans un avenir rapproché », écrit Caroline Maynard dans l’enquête systémique qu’elle a décidé de déclencher en observant une augmentation des demandes touchant l’immigration à l’ASFC.

Il y a l’indéniable corrélation entre l’accueil de centaines de milliers d’immigrants par an et le problème. Il y a aussi le fait que l’ASFC a perdu la trace de 12 000 demandes d’accès à l’information en effectuant un transfert de serveur.

« Ça va avoir un impact additionnel sur une unité [déjà submergée], qui va devoir retourner en arrière et rebâtir les dossiers qu’[elle a] perdus », estime Caroline Maynard dans un entretien vidéo.

Vers une « nouvelle expérience en ligne »

Mais il y a aussi – et peut-être surtout – le fait qu’IRCC a repoussé de deux ans l’entrée en vigueur d’une plateforme numérique devant simplifier les choses. Et cela, la commissaire l’a appris en cours d’enquête, en août 2023.

« L’introduction de la nouvelle expérience en ligne se fera graduellement à compter de la fin de 2023 et se poursuivra sur deux ans [jusqu’en 2025] », lui a signifié le sous-ministre délégué d’IRCC, Scott Harris, selon une transcription contenue dans le rapport dévoilé mardi.

La commissaire espère qu’en attendant cette solution technologique, IRCC et l’ASFC sauront corriger le tir. « Ça pourrait être aussi simple que de mettre en annexe les raisons d’une décision [en lien avec une demande d’immigration] », illustre-t-elle.

Car « l’objet de la Loi sur l’accès à l’information n’a jamais été de remplacer les moyens de fournir ce dont les personnes ont besoin et ce qu’elles attendent du gouvernement fédéral », est-il écrit en exergue dans le document d’enquête produit par Mme Maynard.

« Ce n’est pas normal »

Le porte-parole du Bloc québécois en matière d’immigration, Alexis Brunelle-Duceppe, partage la même lecture. « Ce n’est pas normal de devoir faire des demandes d’accès à l’information parce que ce n’est pas en ligne », tempête-t-il.

On vient engorger une autre structure qui ne devrait pas l’être, poursuit l’élu. Ce n’est pas acceptable ! Ce ministère est probablement le plus dysfonctionnel de tous les ministères de l’appareil gouvernemental fédéral.

Alexis Brunelle-Duceppe, porte-parole du Bloc québécois en matière d’immigration

Il redoute que le rapport « se ramasse encore sur une tablette, parce que, visiblement, [le Ministère n’avait] pas lu le rapport de 2021 ». Et la hausse de l’immigration ne peut être montrée du doigt, tranche le député : « C’était quelque chose de prévisible. »

Sollicités par La Presse, le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique n’ont pas réagi au rapport de la commissaire, qui tient sur une quinzaine de pages, annexes et graphiques compris.

Même réserve au bureau de la présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand : « Nous étudions actuellement le rapport, et nous ne pouvons donc faire aucun commentaire pour le moment. »

De son côté, IRCC « continue de donner suite aux recommandations que [la commissaire a] formulées », lit-on dans le rapport de la commissaire Maynard, à qui il reste un an de mandat.

L’histoire jusqu’ici

  • Mai 2021 : La commissaire à l’information tape sur les doigts d’IRCC, qu’elle presse d’« améliorer l’accessibilité de l’information relative aux dossiers d’immigration de manière à atténuer la pression indue exercée sur le système d’accès à l’information ».
  • Mai 2024 : L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) reconnaît par voie de communiqué avoir perdu la trace d’environ 12 000 demandes d’accès à l’information.
  • Mai 2024 : La commissaire à l’information publie un nouveau rapport sur les difficultés d’accès aux informations liées à l’immigration, pointant du doigt IRCC et l’ASFC.