Alors que la classe politique s’inquiète d’un plan de transformation à CBC/Radio-Canada, le conseil d’administration et la haute direction se font rassurants pour l’autonomie des services français.

Ce qu’il faut savoir

La haute direction de CBC/Radio-Canada travaille à un plan de transformation qui implique une mise en commun des ressources des services anglais et français.

Il n’est pas exclu ni décidé que la programmation et la direction soient touchées.

À Ottawa et à Québec, les élus se sont montrés inquiets, défendant l’autonomie des services français.

La haute direction et le conseil d’administration ont exprimé leur volonté de préserver l’« indépendance éditoriale et de programmation » des deux médias.

La Presse a révélé jeudi que le diffuseur public envisageait de réunir des ressources de CBC et de Radio-Canada, avec des répercussions possibles sur la gouvernance et la programmation. La réflexion s’est amorcée à la demande du conseil d’administration pour faire face à la concurrence des géants numériques.

Lisez l’article « Un plan pour rapprocher CBC et Radio-Canada »

Quand nous avons questionné Marco Dubé, chef de la transformation à CBC/Radio-Canada, pour savoir si les programmations pourraient être touchées dans les prochaines années, il a répondu : « C’est le prochain PDG qui va décider de ces grandes questions-là, mais il y a vraiment derrière [notre réflexion] une utilisation judicieuse des fonds publics, et les Canadiens s’attendent à ce qu’on utilise l’argent de manière efficace. Ils s’attendent à avoir une qualité de programmation en français et en anglais, mais ils s’attendent aussi à ce qu’on soit une organisation qui ne dédouble pas les ressources juste pour le plaisir de dédoubler les ressources. »

Le projet de transformation « vise à assurer l’avenir numérique de CBC/Radio-Canada et à tirer le meilleur parti possible de nos ressources limitées, notamment en matière de technologie », ont réagi le conseil d’administration et l’équipe de la haute direction dans un communiqué transmis aux employés.

[Le projet de transformation] ne vise pas à éliminer l’indépendance éditoriale et de programmation des médias anglais ou français.

Extrait d’un communiqué remis aux employés de Radio-Canada

En entrevue à Midi info, sur les ondes d’ICI Première, Marco Dubé a été plus catégorique : « Il n’y a pas de conversation présentement sur la structure organisationnelle de l’entreprise, un. Deux, il n’y a pas de décision qui est faite. Ce sera vraiment au conseil d’administration avec le nouveau PDG de regarder l’ensemble, cette réflexion-là, et de se dire : comment on avance pour le long terme ? […] Il n’y a pas de conversation du tout pour fusionner des postes de vice-présidents ou pour amalgamer des fonctions de contenu des services français et anglais, pas du tout. »

Possible « mutualisation des directions », selon une source

Une source bien au fait du dossier, qui a requis l’anonymat parce qu’elle n’était pas autorisée à parler publiquement, nous a toutefois assuré qu’il existait bel et bien une réflexion en haut lieu concernant la « mutualisation des directions de CBC et de Radio-Canada ».

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Pascale St-Onge, ministre du Patrimoine canadien

La ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, a prévenu dans une déclaration que « tout effort de modernisation à CBC/Radio-Canada ne doit absolument pas se faire au détriment des services francophones et de leur capacité à remplir leur mandat, tant pour le Québec que pour toutes les communautés francophones partout au pays ».

« Je veillerai à ce que cela n’arrive pas », a-t-elle ajouté.

La ministre Pascale St-Onge prévoit elle-même mandater sous peu un comité d’experts pour « assurer la pérennité » de CBC/Radio-Canada.

Moi, ce qui est dans mon périmètre, c’est ce que je m’apprête à faire, c’est-à-dire revoir la structure financière de CBC/Radio-Canada, sa gouvernance et la façon dont il est imputable envers la population canadienne, et ce qui touche à sa mission et à son mandat.

Pascale St-Onge, ministre du Patrimoine canadien, lors d’une mêlée de presse

L’administration interne appartient toutefois à la direction, « qui a une responsabilité de s’assurer de la bonne utilisation des fonds publics », a ajouté la ministre. « S’il y a des choses qui doivent être changées à l’interne parce qu’il y a des dédoublements au niveau de certains départements, c’est leur prérogative. »

Une dérive « très dangereuse »

« Radio-Canada n’est pas en crise, CBC est en crise », a affirmé Alain Therrien, leader parlementaire du Bloc québécois, pendant la période des questions à la Chambre des communes. « Un rapprochement, ça veut dire obligatoirement faire des concessions. »

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Alain Therrien, leader parlementaire du Bloc québécois

Ces concessions vont se faire sur le dos de la culture québécoise et de ses créateurs. C’est nécessairement enlever de notre identité culturelle pour l’assimiler à celle du Canada anglais. C’est une dérive très dangereuse.

Alain Therrien, leader parlementaire du Bloc québécois

« Le premier ministre peut-il rassurer les francophones du Québec et du Canada que d’aucune façon le gouvernement n’a l’intention de fusionner CBC et Radio-Canada ? », a demandé M. Therrien à la vice-première ministre libérale, Chrystia Freeland.

« Je peux assurer à tous les Canadiens et Canadiennes que la diffusion en français ne sera pas affectée », a répondu la vice-première ministre libérale. « C’est une priorité pour nous. »

« Je suis extrêmement inquiet parce qu’il y a déjà beaucoup de choses qui sont mises en commun à CBC/Radio-Canada, notamment certains équipements », a pour sa part commenté Alexandre Boulerice, chef adjoint du Nouveau Parti démocratique. « Est-ce qu’on parle de la programmation ? Parce qu’il faut que la production en français et la programmation en français servent les histoires des communautés francophones au Québec et ailleurs au Canada. Il ne faut pas que Radio-Canada devienne la traduction simultanée de CBC. Il faut garder cette autonomie-là. »

« Ça serait une catastrophe »

Plus tôt dans la journée, à Québec, le ministre Mathieu Lacombe n’a pas mâché ses mots : un rapprochement de la programmation, « culturellement parlant, pour le Québec, ça serait une catastrophe ».

J’ai bon espoir que Mme St-Onge, en qui j’ai confiance, va poser les gestes nécessaires pour qu’on n’en arrive jamais là.

Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications

Le ministre caquiste a également envoyé un message aux politiciens fédéraux qui rêvent de sabrer les budgets consentis au secteur français du diffuseur public. Les conservateurs de Pierre Poilievre promettent notamment de s’en prendre particulièrement à la CBC, s’ils prennent le pouvoir.

« Pour nous, l’avenir du diffuseur public en français ici, au Québec, c’est non négociable. […] Si un parti à Ottawa décidait de s’en prendre à Radio-Canada, c’est sûr qu’il trouverait le Québec sur son chemin, clairement. Mais pour l’instant, je ne pense pas que ce soit le cas », a dit M. Lacombe.

« L’article que je lis dans La Presse m’inquiète et je pense que ça doit nous inquiéter comme Québécois parce qu’assurément, on a besoin d’un diffuseur public fort, c’est-à-dire Radio-Canada, et pour que ce diffuseur public soit fort, il doit avoir toute l’indépendance nécessaire », a poursuivi le ministre.

Avec Mylène Crête, La Presse