Faire du neuf avec du vieux, tout en réalisant un miracle budgétaire de calibre biblique.

C’est un peu, beaucoup le mandat qu’a donné le gouvernement Legault à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) lundi.

Deux semaines après avoir retiré le projet du tramway des mains de l’administration du maire Bruno Marchand pour le confier à la CDPQ, Québec a ajouté une nouvelle dose de frisson au dossier. La Caisse devra aussi proposer, d’ici six mois, une solution « structurante » qui inclura un lien vers la Rive-Sud – la résurrection pure et simple du fameux « troisième lien ».

Pour résumer : l’entièreté des besoins en mobilité de la capitale nationale devra être réglée par la Caisse d’ici juin prochain, alors que ces dossiers tergiversent, meurent et renaissent de leurs cendres depuis des décennies.

Le tout à un prix acceptable pour le gouvernement et avec un mode de transport qui séduira les citoyens de Québec.

Gigantesque (et surprenante) commande.

S’il ne s’agit pas là d’un aveu d’échec de la part du gouvernement Legault, ça s’en rapproche drôlement.

La ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, nous a accordé un long entretien lundi dans ses bureaux de Québec pour faire le point sur ces dossiers. Elle reconnaît sans détour que son ministère n’a plus l’expertise requise pour mener à bien de grands projets de transport collectif.

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Geneviève Guilbault, ministre des Transports et de la Mobilité durable

La fine connaissance pour faire ce genre de projet là, dans le MTQ actuellement, elle n’est pas suffisante.

Geneviève Guilbault

Geneviève Guilbault en semble persuadée : CDPQ Infra, la filiale de la Caisse qui pilote le projet du Réseau express métropolitain (REM) à Montréal, est la mieux placée pour proposer une solution de transport dans la capitale.

Loin de voir ce choix comme un constat d’échec, contrairement à plusieurs, la ministre estime qu’il relève plutôt du « réalisme », de la « lucidité » et du « gros bon sens ». Elle rappelle que le projet du REM est chiffré à environ 8 milliards de dollars, pour un réseau de train léger de 67 kilomètres, en comparaison avec une facture équivalente pour les 19 kilomètres du tramway de Québec.

« Oui, [le REM] a eu des retards de livraison, des augmentations de coûts, et là, il y a des pannes, mais il reste que ça marche, avance-t-elle. Et quand ça va être en service, à terme, ça va être un beau grand projet de transport vraiment structurant, avec tout le rabattement [des autobus] prévu en conséquence. »

La ministre rappelle que le REM est le seul grand projet de transport collectif à avoir vu le jour dans les dernières décennies au Québec, et elle a raison. Malgré les retards et plusieurs problèmes, la vitesse et l’ampleur de ce chantier restent indéniables.

Mais le gouvernement Legault démontre en parallèle une grande incohérence, considérant qu’il a retiré à la Caisse le mandat de réaliser le REM de l’Est, pas plus tard qu’en mai 2022. Au cœur de cette décision se trouvait le manque d’acceptabilité sociale de cette deuxième phase du REM, qui allait défigurer plusieurs quartiers avec ses lourdes structures de béton1.

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Train du Réseau express métropolitain circulant dans le quartier Pointe-Saint-Charles

Le mandat fraîchement donné à la Caisse dans la capitale soulève tout un paquet d’autres questions.

Parmi les principaux écueils se trouve l’indépendance de l’institution, qui doit gérer le bas de laine des Québécois – plus de 424 milliards – sans aucune ingérence du gouvernement, en vertu de sa loi constitutive. Les dirigeants de la Caisse sentiront-ils une pression indue pour proposer un projet coûte que coûte ?

Il y a aussi l’enjeu des conflits d’intérêts potentiels.

La Caisse est propriétaire de plusieurs terrains qui pourraient faire l’objet d’un développement, le long d’un éventuel réseau de transport. Favorisera-t-elle ses propres intérêts immobiliers au détriment de ceux des citoyens de Québec ? Et choisira-t-elle en priorité des fournisseurs dont elle est actionnaire, pour bâtir un éventuel réseau ?

Aussi, et surtout : CDPQ Infra peut-elle vraiment réinventer la roue ?

Le groupe fera son analyse sur le projet « structurant » à la lumière des nombreuses études déjà réalisées au cours des dernières années. Les conclusions de ces rapports sont claires, par exemple au sujet de l’achalandage insuffisant d’un troisième lien entre Québec et Lévis.

Tous, moi le premier, seront curieux de voir la solution qui sera proposée par la Caisse en juin prochain – si solution il y a.

Officiellement, les discussions entre le gouvernement Legault et la Caisse ont commencé tout récemment, le 29 octobre dernier. Des sources à la CDPQ m’ont confirmé avoir appris à peu près en même temps que les médias l’ampleur du mandat qui leur serait confié.

Tout est sur la table pour le moment dans ce dossier.

Il n’est pas acquis que la Caisse suggérerait un train automatisé surélevé semblable au REM pour la capitale. Il pourrait aussi s’agir d’un tramway ou d’un réseau de bus rapide ; rien n’est arrêté.

Il n’est pas non plus certain que CDPQ Infra proposerait un projet « clés en main » au gouvernement. Le groupe pourrait vouloir réaliser une partie du réseau – en l’occurrence le volet transport collectif – et seulement soumettre des solutions potentielles pour le lien vers la Rive-Sud.

Selon mes informations, la Caisse a envoyé lundi une centaine d’invitations à diverses « parties prenantes » de la région de Québec, pour solliciter leur opinion sur un éventuel projet. L’objectif : éviter la débandade du REM de l’Est en consultant massivement en amont.

Il y a beaucoup de « si » dans toute cette équation. Il est possible que la Caisse propose une solution qui sera tout simplement trop chère – ce qui donnerait au gouvernement Legault un argument définitif pour fermer ces dossiers dans la capitale, sans en porter l’odieux.

Pour revenir à Geneviève Guilbault, elle n’accepte pas le statu quo dans la réalisation des grands projets. Elle compte toujours déposer au début de 2024 un projet de loi en vue de créer une agence qui reprendrait la gestion des chantiers de transport collectif, à l’extérieur de son ministère, en vue d’accroître l’efficacité et de réduire les coûts.

En ce sens, le nouveau mandat confié à la CDPQ pourrait être vu comme une forme de laboratoire, ou de projet pilote, même si la ministre ne le décrit pas ainsi.

Elle se dit « impatiente » de voir des résultats, et elle est loin d’être la seule.

1. Lisez l’article « Québec reprend le contrôle du REM de l’Est »