L’histoire suivante ne parle pas de politique, mais elle est riche en apprentissages.

En aviation, le vol AF447 est devenu ce qu’on appelle un cas d’école.

Le 31 mai 2009, l’avion décolle de Rio de Janeiro à destination de Paris. Près de deux heures plus tard, l’appareil frappe une « tour convective », une zone à haute turbulence. Des cristaux de glace se forment alors sur les capteurs de vitesse, qui en faussent la lecture. Le système d’autopilote se désactive.

À partir de là, les erreurs s’accumuleront pour mener à une conclusion fatale pour les 228 personnes à bord.

Le pilote croit perdre de l’altitude. Il compense en changeant de direction. Vers la gauche, vers la droite, puis vers le haut pour remonter. Il ne s’en rend pas compte, mais l’avion a arrêté d’avancer. Le copilote s’en mêle. Chaque tentative pour reprendre le contrôle est basée sur une mauvaise interprétation des données, et elle précipite la chute dans l’océan Atlantique.

Je paraphrase le Harvard Business Review1 : à la longue, la dépendance au système de pilotage automatique avait fini par affaiblir la capacité des équipages à planifier une manœuvre, à vérifier les chiffres et à passer à l’action. Surtout en réaction à un évènement non familier.

Le gouvernement caquiste ne s’est pas écrasé. Au contraire, il reste en relative santé. Si une élection avait lieu aujourd’hui, il gagnerait un troisième mandat majoritaire consécutif, un rare exploit.

N’empêche qu’il y a quelques parallèles frappants avec le vol AF447. Après leur victoire en 2022, les caquistes planaient bien au-dessus des autres partis, confortablement en tête dans les sondages. Comme ils le font depuis 2018, en fait.

Ils se sont habitués à vivre en haute altitude. Malgré toutes les variétés de crises qui marquent la vie d’un gouvernement, d’un point de vue électoral, ils avançaient sur le pilote automatique, sans jamais avoir vu autre chose que les ciels bleu poudre menant à leur victoire.

Puis vers la fin du printemps, des signaux un tantinet inquiétants sont apparus sur leur tableau de bord. Un début de baisse dans les intentions de vote. Le Parti québécois se profile depuis comme un petit point sur leur radar. Rien de dramatique. Mais on sent une légère nervosité à l’interne. Si la descente devait se poursuivre, où mènerait-elle ?

Pour regagner de l’altitude, des gestes précipités ont été faits.

Au lendemain de la défaite dans Jean-Talon, François Legault a relancé le rêve d’un troisième lien routier entre Lévis et Québec. On cherchait à comprendre. N’était-ce pas le même gouvernement qui voulait désormais réduire l’étalement urbain et le nombre de voitures, et qui défendait maintenant un tracé réservé au transport collectif ?

La semaine suivante, un autre coup de volant. Québec annonce que les droits de scolarité doubleront pour les étudiants des provinces canadiennes. Cette réforme était en préparation depuis des mois. Mais elle semble avoir été avancée, sans consulter les universités concernées, qui ont ainsi pu crier à l’improvisation.

Puis, après avoir laissé planer la possibilité d’un référendum sur le tramway de Québec, la CAQ a demandé à la Caisse de dépôt et placement de lui présenter un rapport d’ici six mois sur le meilleur projet « structurant ». Or, plusieurs études ont déjà été faites. Et la Caisse n’est pas neutre non plus – elle a intérêt à promouvoir son système de train léger. Elle voudra également privilégier un modèle rentable pour elle, et non une solution optimale pour la mobilité dans la région. Mais pour le gouvernement Legault, c’était une façon de faire baisser la pression à court terme.

Dans la cabine de pilotage, l’agitation n’a fait que croître depuis.

Quelques jours à peine après avoir juré que le gouvernement n’avait presque plus de marge de manœuvre, le ministre des Finances Eric Girard a offert de 5 à 7 millions de fonds publics pour organiser des matchs présaison des Kings au Centre Vidéotron. C’est presque exactement l’aide d’urgence additionnelle que les banques alimentaires réclamaient. M. Girard y tenait tellement qu’il a bousculé la machine pour trouver l’argent, comme le révèle mon collègue Tommy Chouinard.

Et puis cette semaine, autre surprise. Les caquistes braquent malgré eux les projecteurs sur la hausse salariale de 30 % accordée aux députés. Selon la loi, le salaire des élus devait être indexé – par ricochet – au même rythme que celui de la fonction publique. C’était connu. C’était aussi fort prévisible que cela enragerait les syndiqués. Mais à la veille de la grève, les caquistes annoncent soudainement qu’ils renonceront à cette bonification.

Si elle était malavisée, pourquoi avoir voté pour ?

Pour une rare fois, des députés se confient. Yannick Gagnon, député de Jonquière, avoue que sa boîte courriel déborde de messages de gens choqués par les millions dépensés pour les Kings. « Je vais demander qu’on m’explique », a-t-il raconté à Radio-Canada.

En d’autres mots, le caucus n’a pas été consulté, et il ne comprend pas non plus.

Selon les experts en aviation, l’équipage de l’AF447 a voulu agir trop vite. L’avion n’était pas en trop basse altitude quand les pilotes ont enchaîné les manœuvres précipitées.

« Nous avons complètement perdu le contrôle de l’avion, et nous ne comprenons rien. Nous avons tout essayé2 », s’alarmait un copilote, selon la transcription des dernières minutes avant l’écrasement.

La CAQ se trouve encore nettement au-dessus des autres partis, et les prochaines élections se dérouleront dans presque trois ans, une éternité en politique.

Malgré tout, le gouvernement Legault donne lui aussi l’impression d’appuyer sur tous les boutons pour remonter dans les sondages. C’est ce remède qui accélère en ce moment sa descente.

1. Consultez le résumé de l’écrasement du vol AF447 fait par le Harvard Business Review (en anglais) 2. Consultez le reportage de Vanity Fair « The Human Factor » (en anglais)