« Encore une autre agence ? » Eh oui… Mais retenez votre soupir pendant quelques paragraphes, si possible.

Après l’agence Santé Québec, le gouvernement caquiste veut une nouvelle structure indépendante, cette fois pour planifier et gérer les grands projets de transport collectif. Mais à part le nom d’« agence », elles ont peu de choses en commun.

Celle de la santé deviendra le plus gros employeur au Québec, avec quelque 330 000 personnes sous sa responsabilité. Tandis qu’un maximum de 50 personnes travailleront dans l’agence que propose la ministre des Transports, Geneviève Guilbault.

À ceux qui lui reprochent de manquer de vision, Mme Guilbault brandit ce projet d’agence. Elle en a esquissé les objectifs en interview. Le détail sera dévoilé aux parlementaires la semaine prochaine lors du dépôt du projet de loi.

Sur le diagnostic, difficile de donner tort à la ministre. Le Québec n’a pas d’expertise pour planifier et construire de grands projets de transport collectif. Les gouvernements font des choix par électoralisme.

Les projets sont modifiés, reportés, annulés et relancés, avec une gestion brouillonne. Peu de soumissionnaires sont intéressés, et ceux qui le sont ajustent à la hausse leur soumission pour tenir compte de ce risque.

Il y a plus de 10 ans, le prédécesseur péquiste de Mme Guilbault, Sylvain Gaudreault, constatait l’incapacité à réaliser de grands projets. II avait lui aussi proposé une agence.

Bien sûr, il y a eu depuis le REM. Mais la Caisse de dépôt et placement a un objectif de rendement qui entre en tension avec la mission de service public. Et la Caisse ne s’est pas montrée intéressée par des tronçons proposés par les caquistes en banlieue de Montréal.

Reste qu’il y a déjà une agence.

En effet, le gouvernement Couillard avait fait le même constat que Mme Guilbault. Il avait donc créé en 2017 l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM).

On connaît la suite. L’ARTM a eu des débuts pénibles. Elle n’a pas réussi à rédiger un plan qui identifierait les projets prioritaires et séquencerait leur réalisation⁠1.

Mme Guilbault croit pouvoir éviter de répéter ce problème. Contrairement à l’ARTM, aucun élu ne siégera à son agence. Sa direction devra planifier le développement national du réseau et gérer les nouveaux projets d’envergure.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault

En principe, l’idée est bonne. Mais elle ne suffira pas à régler le problème de fond : le manque d’argent pour faire fonctionner le réseau de transport collectif et y ajouter de nouveaux services.

Mme Guilbault rappelle que le fédéral pourrait en faire plus pour financer la construction.

Elle lorgne la Banque de l’infrastructure du Canada. Et elle déplore que le Fonds permanent pour le transport en commun sera seulement disponible à partir de 2026. Son homologue fédéral Pablo Rodriguez est ouvert à le devancer. Mais même s’il accepte, ça ne suffira pas.

Où trouver le reste de l’argent ? Le député libéral Monsef Derraji propose que les sociétés de transport se financent en vendant un droit de construction immobilière sur leur terrain. Vancouver mise entre autres sur ce modèle.

Mais là encore, même si tout cela fonctionnait, ça ne suffirait pas.

Si tous les projets inscrits dans le plan d’infrastructures allaient de l’avant, la facture totale s’élèverait à 53 milliards. Or, 13,8 milliards sont prévus. C’est à la fois une somme record et bien peu face aux promesses faites sur papier.

L’autre enjeu financier, c’est d’exploiter et d’entretenir les bus, métros, trains et tramways.

Chaque ajout de service augmente les frais d’exploitation.

Et à l’heure actuelle, l’argent manque pour faire fonctionner le réseau. Par exemple, le simple entretien du métro de Montréal coûtera plus de 16 milliards d’ici la prochaine décennie. Et à New York, on a vu le coût de la négligence : des pannes et des usagers qui retournent à leur voiture.

Là encore, la question se pose : où trouver l’argent ?

Mme Guilbault espère que l’achalandage reviendra au niveau prépandémique, ce qui augmente les revenus provenant des usagers.

Elle souhaite aussi « optimiser » la gestion des sociétés de transport. Vrai, les employés des municipalités sont payés davantage que ceux du niveau provincial. Et le fiasco du garage Bellechasse à Montréal montre l’importance de resserrer les dépenses.

La ministre a commandé un audit de performance. Elle veut évaluer et comparer la gestion des sociétés de transport. Et ensuite clarifier la part de déficit qui est conjoncturelle et structurelle.

Après avoir épongé 70 % des déficits des opérateurs durant la pandémie, le gouvernement caquiste demande aux municipalités de faire leur part.

Or, le déficit structurel relève aussi de Québec. Par exemple, les caquistes veulent que la majorité des autobus soient électriques d’ici 2030. Cela cadrait bien avec leur positionnement dans la filière batterie. Mais ça coûte très cher en entretien et entreposage, sans oublier de dispendieux contrats avec Nova Bus. Pour la même somme, on aurait pu ajouter des bus à essence au parc de véhicules afin de réduire l’auto solo et les gaz à effet de serre.

La baisse des revenus de la taxe sur l’essence, qui relève de Québec, nuit également aux villes.

Pour combler ce manque de revenus, diverses solutions existent, mais on devine que le caucus caquiste s’opposerait à toute nouvelle forme d’écofiscalité.

Or, on ne peut pas tout faire en même temps. On ne peut pas encourager l’auto solo en milieu urbain en ajoutant des routes puis prétendre tout faire pour inciter les gens à adopter le transport actif et collectif.

Ces grandes orientations de Québec ont aussi un impact sur le déficit structurel des opérateurs.

Si Mme Guilbault crée une agence, c’est parce qu’elle veut réaliser des projets. L’idée est bonne, et ses intentions le sont aussi. Mais sans argent, il n’y aura pas de miracle.

1. Lisez cette nouvelle qui résume les critiques adressées au plan de l’ARTM