Jamais n’aurais-je pensé écrire les termes « sexy », « fessier » et « Loi sur les contrats des organismes publics » dans le même texte, mais il faut un début à tout.

Alors voici. Suivez-moi bien.

En mars dernier, je vous révélais la réforme qui se trame à Québec pour revoir la planification des grands projets d’infrastructures1.

En gros : le gouvernement Legault veut moderniser ses façons de faire très rigides. Son objectif : réduire de 15 % la facture moyenne et accélérer de 25 % les délais de construction des écoles, routes, hôpitaux et réseaux de transport collectif.

Il y en aura pour 150 milliards de dollars d’ici 10 ans, payés par vous et moi. Les gains qu’on nous laisse miroiter sont considérables.

Après un long détricotage de plusieurs lois et règlements, et des discussions corsées entre cabinets politiques, le projet de loi pour enclencher cette réforme est prêt. Il sera déposé jeudi à l’Assemblée nationale.

Ce sera lourd et rébarbatif. Tout comme les débats qui suivront en commission parlementaire.

Mais au terme de cet exercice, Québec espère atteindre un état opposé : celui de la légèreté.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jonatan Julien, ministre responsable des Infrastructures du Québec

Le gouvernement compte assouplir, et pas à peu près, ses processus d’attribution de contrats. Redevenir « sexy » auprès des entreprises de construction qui lui ont tourné le dos ces dernières années, pour reprendre l’expression de Jonatan Julien, ministre responsable des Infrastructures.

De quoi soulever bien des espoirs et quelques inquiétudes.

Jonatan Julien m’a exposé en entrevue les grandes lignes de cette réforme, pilotée avec sa collègue du Trésor, Sonia LeBel.

Il ne s’en cache pas : cette « mini-révolution » réjouit au plus haut point les gens de l’industrie de la construction. Ils « font la vague », m’a-t-il dit.

Lui aussi.

M. Julien qualifie ces changements de « gagnants-gagnants », dans la mesure où ils devraient entraîner plus de concurrence dans les appels d’offres publics. L’État y trouvera son compte, les entrepreneurs aussi, tout comme les contribuables.

Dans un monde idéal, bien entendu.

La stratégie qui sera dévoilée jeudi, en même temps que le dépôt du projet de loi, est répartie en quatre axes et 17 mesures. Elle ratisse très large. Trop, même, diront certains critiques. « On est allé le plus loin qu’on pouvait aller », avance le ministre.

L’un des grands piliers touchera les modes de réalisation « collaboratifs et alternatifs ». Québec entend intégrer les entreprises soumissionnaires plus tôt dans la phase d’élaboration des projets d’infrastructures, pour déterminer des concepts – et des prix – plus réalistes dès le départ.

À l’heure actuelle, les entrepreneurs doivent en général se plier aux demandes très strictes des donneurs d’ouvrage publics, sans pouvoir apporter leur grain de sel à la réflexion. Ils ajoutent dans leurs soumissions une marge copieuse pour pallier les imprévus, qui fait gonfler la facture à tout coup.

Québec veut ainsi suivre la tendance adoptée par plusieurs pays, et ailleurs au Canada, vers des modes d’attribution de contrats plus souples. Le principe se défend très bien.

Jonatan Julien assure que les économies estimées ne sortent pas d’un chapeau. Il croit même avoir joué « fessier », soit de façon prudente, en laissant miroiter des gains en argent et en temps de 15 % à 25 %.

PHOTO FOURNIE PAR LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE DES INFRASTRUCTURES

La nouvelle école secondaire des Navigateurs, à Saint-Zotique, a été réalisée selon un mode dit collaboratif.

La Société québécoise des infrastructures (SQI) a fait un projet pilote « hyper-probant » avec un programme de 13 écoles secondaires assez similaires. Quatre d’entre elles ont été construites selon un mode « alternatif », tandis que les autres ont été faites à la sauce traditionnelle.

Bilan des courses : les quatre écoles réalisées en collaboration avec les entrepreneurs ont été livrées en 29 mois, contre 38 mois en moyenne pour l’ensemble des écoles de ce programme (-24 %). Leur coût moyen a été de 7270 $ le mètre carré, contre 8600 $ le mètre carré (-15 %).

Des gains reproductibles à large échelle, croit le gouvernement.

Gros pari.

Jonatan Julien le reconnaît : ce qui fera foi de tout sera la planification de cette montagne de projets publics à venir.

Dans le transport collectif, cela passera par une nouvelle agence. La création de cette structure fera l’objet d’un projet de loi distinct, qui sera lui aussi déposé jeudi par la ministre des Transports, Geneviève Guilbault. Le scepticisme est grand.

À l’échelle de l’appareil gouvernemental, Jonatan Julien dit que son ministère agira comme « tour de contrôle » pour déterminer quels projets d’infrastructures seront priorisés. Cet exercice de planification passera entre autres par une meilleure connaissance des capacités de l’industrie de la construction dans chaque région.

Une industrie, faut-il le rappeler, qui sera aussi sollicitée à fond par Hydro-Québec, avec ses 130 milliards en projets prévus d’ici 2035.

La cadence sera dure à suivre, même si la réforme Julien-LeBel devait porter ses fruits.

1. Lisez la chronique « Plus vite, moins cher : Québec veut devenir “sexy” »