Traumavertissement : ce texte peut heurter les scatosensibles, car il contient beaucoup de références à la marde.

C’est quand même ironique que l’expression « boss des bécosses » entre dans Le Petit Robert en même temps que se déroule le feuilleton du député libéral ontarien Francis Drouin qui a traité des chercheurs de « pleins de marde ». M. Drouin, dont il faut reconnaître l’engagement sincère pour la protection de la francophonie canadienne, a agi comme un petit chef autoritaire, un boss des bécosses.

Ce dernier mot serait, selon plusieurs auteurs, une déformation de « back house ». Imaginez ici l’arrière de la maison où se trouvait jadis la cabane qui servait de toilette familiale. C’était avant que la modernité ne transforme les bécosses en confortables salles de bains lovées dans nos maisons.

Mais qu’on le fasse dans une bécosse ou dans une salle de bains, le plus important est de trouver la position idéale pour ne pas perdre son temps à lire des magazines à potins où des starlettes se font photographier dans leur chalet luxueux tout en expliquant que le plus important pour elles, au fond, c’est la richesse du cœur.

Pour s’approcher de cette bienfaisante posture qui prévient hémorroïdes et prolapsus, ceux qui s’y connaissent recommandent la position du Penseur de Rodin, que d’autres nomment le Livreur de rondins !

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Le Penseur de Rodin, au Musée des beaux-arts de Montréal

Chose certaine, installer une image du célèbre Penseur dans la salle de bains peut aider à mieux suivre le guide. Même s’il a coulé un bronze pour la faire, je ne sais pas si le talentueux sculpteur aurait apprécié d’apprendre que l’œuvre de sa vie est devenue une sorte d’émollient planétaire.

Si je vous raconte tout ça, c’est pour mieux flusher la toilette et spéculer sur les raisons qui ont poussé Francis Drouin à tomber dans la politique de caniveau. Pour avoir sillonné une grande partie de la francophonie canadienne, je sais que certains militants pour la cause y regardent parfois les Québécois francophones comme des mardeux qui se plaignent le ventre plein lorsque vient le temps de parler d’érosion linguistique et culturelle.

Pourtant, ce n’est pas parce que les communautés francophones ont des problèmes beaucoup plus préoccupants que le Québec doit taire ses inquiétudes.

Mais à défaut de m’étendre sur cette relation parfois compliquée qui fait partie de ce que j’appelle la troisième solitude canadienne, je vais essayer de faire part à Francis Drouin de mon expérience sur le bon usage du mot « marde ».

En cause, son dérapage est la preuve que le rapport langagier que les Québécois entretiennent avec la marde n’est pas juste difficile à comprendre pour un immigrant.

Vous m’excuserez donc pour la surutilisation du mot « marde » dans cette partie de ma chronique. Elle est indispensable à la vulgarisation de ces facéties du Canada francophone que je vais proposer à Francis Drouin. Je crois cependant qu’il a simplement sous-estimé la violence de ces mots, car il n’est habituellement pas du genre à brasser de la marde.

D’ailleurs, depuis le début, je parle de marde, et non de merde. Il y a une raison lexicale à ce choix qui mérite d’être soulignée. La merde et la marde, à vue de nez, ça se ressemble pas mal. Le mot merde est répandu à l’international, tandis que la marde, ça, c’est à nous autres, les francophones du Canada. Chez nos amis du reste de la francophonie, ça va peut-être chier dans le ventilo, mais c’est très rare que la marde va pogner comme ce fut le cas à Ottawa.

C’est pour cette raison qu’un fouille-merde en France n’est pas totalement l’équivalent d’un chercheux de marde au Québec. Si le fouille-merde cherche à vous mettre dans la marde, le chercheux de marde trouve souvent des emmerdes. C’est comme un merdeux pis un mardeux. L’un et l’autre n’ont rien à voir. Le merdeux, c’est celui qui nous fait chier. Le mardeux, il a la chance de ne jamais mettre le pied dedans.

Si Francis Drouin a agi comme le premier, je lui souhaite tout de même de ne pas être dans la chose jusqu’au cou, comme le réclament les oppositions. Ce serait le boute de la marde.

Cette locution m’a posé beaucoup de problèmes de compréhension. Je vous dis pourquoi. À ma connaissance, à part les bouses informes des vaches, une véritable crotte a toujours deux extrémités. Je ne savais donc pas par quel bout prendre cette expression.

La question est d’autant plus légitime que le Québec me semble aussi être le seul endroit de la francophonie où l’on trouve deux niveaux de boute. Ici, on a le boute, mais aussi le boute du boute que personne n’arrive à identifier avec précision.

En emmerdant irrespectueusement les chercheurs venus partager leur expertise, Francis Drouin s’est fait donner un char de sa propre médecine par les nationalistes québécois de toute allégeance.

Depuis toujours, je pense que cette façon de livrer un plein char de matière à l’autre, là où une simple chaudière aurait suffi, témoigne d’une grande générosité entre francophones.

Si toutes ces expressions précédemment citées sont péjoratives, bizarrement, quand on est mardeux ici, on est chanceux. Plus surprenant encore, la marde peut même se transformer miraculeusement en petits mots d’amour qui cimentent un couple ou une famille quand la maman dit avec tendresse « cré Boucar à marde ! » ou « pauvre petite crotte ! »

J’espère que cette petite exploration lexico-scatologique aidera M. Drouin à choisir la bonne expression la prochaine fois, car le bon usage du mot marde, ça s’apprend vraiment sur le tas. Je vais arrêter ici si je ne veux pas que d’un bout à l’autre du Canada, les francophones terminent la lecture de ce texte en disant : « Boucar, il est vraiment fou comme de la marde ! »