Construire de 20 à 25 % plus vite, et payer de 15 à 20 % moins cher.

Voilà l’objectif chiffré, ambitieux et surprenant que s’est fixé le gouvernement Legault pour tous les contrats d’infrastructure de la province. Écoles, routes, hôpitaux, réseaux de transport collectif : il y en aura pour 150 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie, à bâtir ou à rénover.

Québec prépare une réforme gigantesque pour tenter d’atteindre ces gains d’efficacité, ai-je appris. D’ici juin, le gouvernement annoncera des modifications à plusieurs lois et règlements, dont la Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastructure publique.

Il y aura une série d’allègements dans l’espoir de susciter plus de concurrence dans les appels d’offres publics. L’État québécois s’éloignera du modèle classique du plus bas soumissionnaire et privilégiera « d’emblée » les modes « collaboratifs » pour la réalisation des projets. Le modèle de partage des risques financiers sera revu.

Lisez l’article « La future agence des transports sera à l’avant-garde »

Cette réforme viendra aussi mettre la table en vue de la création d’une agence des transports, pour simplifier la réalisation des projets de transport collectif. L’objectif est de reproduire, dans le giron public, ce qu’a réussi à faire CDPQ Infra avec son Réseau express métropolitain (REM).

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Chantier du Réseau express métropolitain à Brossard, en mars 2020

Québec veut « casser » son modèle actuel, rien de moins.

Ces changements à venir découlent d’un constat d’échec. Les contrats publics sont de plus en plus gros, mais paradoxalement, ils intéressent de moins en moins les entrepreneurs.

Plusieurs projets récents n’ont réussi à attirer qu’un seul soumissionnaire, et dans certains cas, aucun.

On peut penser au projet du tramway de Québec, dont le prix a triplé avant son abandon, faute de soumissionnaire. Ou encore au pont de l’Île-aux-Tourtes, dont la facture a bondi de 45 %, à plus de 2 milliards, entre l’estimation initiale et la fin de l’appel d’offres.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

L’un des chantiers entamés à Québec, rue du Chalutier, en vue de la construction du tramway, le 20 novembre dernier

Le nœud du problème est la déconnexion grandissante entre les concepts imaginés au départ, par les donneurs d’ouvrages publics, et les prix proposés par les entrepreneurs, au terme d’un processus de qualification lourd et complexe. Résultat : de plus en plus d’entre eux tournent le dos aux contrats proposés par le gouvernement du Québec.

Mal ficelés, trop risqués, truffés de conflits potentiels : ils sont devenus indésirables, en somme.

« En fin de compte, on a une relation qui n’est pas une relation de partenaires : on se regarde en chiens de faïence », a résumé le ministre responsable des Infrastructures, Jonatan Julien, pendant un discours prononcé à la mi-février.

J’ai obtenu un enregistrement de cette allocution faite au congrès de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec. En un quart d’heure, le ministre a télégraphié tout ce que son gouvernement fera au cours des prochains mois pour tenter de renverser la tendance.

Son message n’aurait pu être plus limpide.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jonatan Julien, ministre responsable des Infrastructures

Mon objectif, moi, c’est de nous rendre assez sexy pour que les gens aient envie de travailler avec nous.

Le ministre Jonatan Julien, dans une allocution

Comment Québec s’y prendra-t-il, concrètement, pour devenir plus affriolant ?

Trois gros morceaux seront modifiés. On pourrait même dire trois piliers : la Loi sur les contrats des organismes publics, la Loi sur les infrastructures publiques et la Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastructure publique. Plusieurs « règlements sous-jacents » seront changés dans la foulée.

La teneur précise des changements est encore inconnue, mais tout ce rebrassage a donné lieu à des discussions corsées à l’intérieur même de la machine gouvernementale. Notamment entre le Conseil du trésor, la Société québécoise des infrastructures (SQI) et le Conseil des ministres.

Il a fallu trouver le juste équilibre entre un assouplissement des règles d’appels d’offres, avec tout ce que ça comporte comme risques de corruption et de collusion, et un encadrement suffisant, balisé par des mécanismes de surveillance solides.

L’idée centrale étant de s’adapter aux nouvelles pratiques internationales, sans bafouer l’héritage pas si lointain de la commission Charbonneau.

Québec a sondé une centaine d’experts universitaires, d’entrepreneurs et d’intervenants municipaux depuis un an, dans le but de trouver le meilleur dosage possible. Il n’y a pas de recette miraculeuse, mais Québec ambitionne de se doter d’un des cadres réglementaires les plus modernes en Occident.

J’attends les détails avec impatience, et je suis loin d’être le seul.

Le pari du gouvernement Legault est de miser à large échelle sur des modes de réalisation « alternatifs et collaboratifs » pour les projets d’infrastructures. Les entreprises soumissionnaires seront impliquées beaucoup plus tôt, dès l’étape de la conception.

Québec veut se donner une « marge de discussion » avec elles, pour entendre le plus vite possible leurs « idées », afin de réduire le risque de mauvaises surprises et de dépassements de coûts en cours de route. L’idée est aussi de réduire au strict minimum les procédures judiciaires, assez fréquentes lorsqu’il y a des dérapages dans les chantiers traditionnels d’infrastructures.

Autant d’éléments qui compresseront les coûts et les délais, estime le gouvernement.

La SQI recourt déjà à des modes « collaboratifs et alternatifs » pour différents projets, qui ont servi de modèle à la réforme qui s’annonce. Dans un dossier récent, touchant la construction de 13 écoles assez similaires, quatre d’entre elles ont été réalisées à la nouvelle sauce, selon le mode appelé « conception-construction-financement ».

PHOTO FOURNIE PAR LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE DES INFRASTRUCTURES

La nouvelle école secondaire des Navigateurs, à Saint-Zotique, a été réalisée selon un mode dit collaboratif.

Cette façon de faire a permis de raccourcir la durée du chantier de 24 %, et de réduire la facture de 15 % pour ces quatre établissements, m’a indiqué la SQI, par rapport aux neuf autres écoles du lot, construites de manière traditionnelle.

Que penser de la réforme qui s’annonce ?

Il y a des éléments très prometteurs, des zones grises et des drapeaux jaunes.

Parmi les aspects positifs, il y a celui de la planification et du suivi des projets. Québec reconnaît que ses besoins sont souvent mal définis, et que le suivi des projets d’infrastructures est loin d’être toujours optimal. La nouvelle stratégie gouvernementale visera à corriger ces deux lacunes.

Cette intention de mieux planifier est 100 % justifiée, mais il faudra voir quelle sera la chaîne de commandement pour les différents projets. C’est loin d’être clair à ce stade-ci. Les risques de dédoublement, voire de cacophonie, pourraient être accentués avec l’arrivée d’une agence des transports, qui s’ajoutera aux acteurs existants.

L’ampleur des économies espérées, en temps et en argent, fait aussi sourciller. Il faudra le voir pour le croire.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le projet de « troisième lien » est un exemple du risque de politisation des grands projets d’infrastructures.

Autres éléments à considérer : la politisation et le manque de transparence dans les projets d’infrastructures. Ces problèmes se sont manifestés encore récemment avec la gestion catastrophique du projet de « troisième lien » à Québec, ressuscité dans la panique après une défaite électorale, puis barouetté à gauche et à droite.

C’est peut-être le plus grand danger qui plane, en fait. Car la meilleure des réformes n’aura pas l’effet escompté si le gouvernement Legault ne corrige pas ses mauvais plis.