C’est un mauvais hiver pour le bleu. Après Le Panier bleu, un gaspillage de 22 millions de dollars, c’est au tour des Espaces bleus de passer à la trappe.

Le gouvernement caquiste profite de la relâche parlementaire pour mettre fin au projet. Au moins, le deuil sera bref.

C’était un concept à la recherche d’une raison d’être. Peu de gens le défendaient, ou même le comprenaient. Quand les coûts se sont mis à exploser, sa mort est devenue inévitable.

Mais ce n’est pas seulement une histoire de dépassement de coûts. C’est aussi, et surtout, un autre exemple de marketing politique qui finit mal.

Avant même l’annonce officielle, le projet faisait l’objet d’une fuite dans La Presse en mars 2021. François Legault cherche un « legs nationaliste assumé », lisait-on.

La « fierté » était le nouveau leitmotiv caquiste. M. Legault voulait que ses projets soient interprétés comme faisant partie d’un projet d’affirmation nationale.

C’est dans cet esprit qu’il a développé les Espaces bleus. Sa vision : rénover un bâtiment patrimonial dans chaque région, y ouvrir une salle d’exposition, une salle de concert et un café puis organiser des expositions qui célèbrent la culture et l’histoire locale, et qui attirent en même temps les touristes du reste du Québec.

Soyons charitables. Sur papier, le projet n’était pas laid. Et ce n’était pas non plus du machiavélisme. Le chef caquiste pensait sincèrement que la population l’apprécierait. Reste qu’il n’a pas beaucoup écouté…

Aucun intervenant culturel n’avait demandé des « Espaces bleus ». Et rares étaient ceux qui étaient emballés.

La rénovation des bâtiments était l’aspect le moins controversé. Mais ailleurs, le scepticisme était la règle. Les musées régionaux craignaient qu’on dédouble leur mandat ou qu’on cannibalise leur public.

En conférence de presse, M. Legault parlait de choses qui l’inspiraient, comme le fleuve, le hockey, Céline Dion, l’audace des premiers colons, les alumineries au Saguenay ou les pionniers de l’entrepreneuriat.

Le Musée de la civilisation devait piloter le projet. Il y voyait une façon de mettre en valeur sa vaste collection composée de 225 000 œuvres et artéfacts.

N’empêche que la question demeurait : est-ce du tourisme, de la commémoration nationale, de la culture ? Que voulait-on ajouter exactement à la programmation muséale ? Et à quel coût ?

En d’autres mots : l’argent sera-t-il plus utile ailleurs ?

L’abandon des Espaces bleus n’est pas une surprise. En 2022 déjà, des experts sonnaient l’alarme. Parmi eux, Marie-Claire Lévesque, ancienne directrice générale au ministère de la Culture et ex-présidente du Conseil des arts et des lettres.

Le budget de 259 millions lui apparaissait insuffisant. « C’est rien », lançait-elle dans une interview presciente avec mon collègue Mario Girard. Elle ajoutait : « Ils n’iront pas loin avec ça. On réussira avec cette somme à développer quelques projets, sans plus… »

Et c’est exactement ce qui est arrivé. Sur 17 projets, seulement quatre étaient en développement avant l’annonce lundi du ministre de la Culture, Mathieu Lacombe.

Le coût estimé pour celui de Baie-Saint-Paul était déjà passé de 10 à 56 millions de dollars. Celui d’Amos dépassait de 55 % les prévisions, et on n’en était qu’à l’étape de l’appel d’offres. Les travaux à la villa Frederick-James à Percé faisaient aussi des mécontents. On s’inquiétait de la place accordée aux artistes locaux et on soulignait que cet investissement se faisait alors que deux fermetures étaient anticipées à cause d’un manque de fonds : le bureau d’information touristique régional et le musée Le Chafaud.

En débranchant le projet maintenant, M. Lacombe évite d’engloutir trop d’argent. Près de 122 millions ont déjà été dépensés, mais la somme sert à rénover des bâtiments patrimoniaux. Au moins, ce n’est pas du pur gaspillage.

Pour la suite, le milieu culturel devrait modérer ses attentes. L’annonce ne libérera pas énormément d’argent pour d’autres projets.

L’essentiel de l’argent prévu pour l’exploitation des Espaces bleus n’était pas budgété pour l’année prochaine, car leur ouverture n’était pas imminente.

Québec plaidera que le budget en culture augmente plus vite cette année que celui de la moyenne des autres ministères (5 % contre 1,2 %), et que le programme Aide au fonctionnement pour les institutions muséales a été bonifié de 31 %. Le message : il y en a, de l’argent en culture.

Or, cette somme doit être remise en contexte. Le gouvernement caquiste avait prévu injecter 12 fois plus d’argent pour exploiter les Espaces bleus que ce qui est accordé aux musées avec le programme d’aide au fonctionnement.

L’argent prévu pour la construction des Espaces bleus ne sera pas redistribué non plus majoritairement vers d’autres chantiers. Le plan des infrastructures surchauffe déjà à cause des dépassements de coûts.

Des projets en culture dépassent les budgets initiaux, comme l’Espace Riopelle à Québec. Et surtout, la facture gonfle pour les maisons des aînés, les écoles et le transport collectif et routier, sans oublier le possible ajout d’un troisième lien routier Québec-Lévis.

D’ailleurs, le parallèle entre les deux est frappant. Le troisième lien et les Espaces bleus ont été conçus par un parti qui cherchait à gagner des votes. Et non par un gouvernement ayant commencé par évaluer les besoins avec les experts sur le terrain avant de chercher la meilleure façon d’y répondre.

Le rendement électoral primait. Et une fois de plus, la CAQ est punie par où elle a péché.