À l’âge de 18 ans, j’avais déjà vécu dix défilés de la Coupe Stanley dans les rues de Montréal. Ça veut dire un, en moyenne, tous les 20 mois de mon existence. Quelqu’un âgé de 30 ans aujourd’hui n’en a vu aucun. Zéro en 360 mois sur Terre.

Au siècle dernier, lors du tournoi de golf du Canadien, à la veille d’une nouvelle saison, les joueurs et les dirigeants n’avaient qu’un mot à la bouche : le mot qui commence par un S. S pas comme « Séries ». S comme « Stanley ». Tous les ans, le Canadien visait la Coupe Stanley.

Au tournoi de golf du Canadien, en septembre dernier, les dirigeants ont refusé de prononcer le mot qui commence par un P. P pas comme « perdre ». P comme « Playoffs ». Ils ne voulaient pas que les fans soient trop exigeants.

En 1989, le Canadien termine la saison avec une fiche de 53 victoires, 18 défaites et 9 matchs nuls. En demi-finale de division, le CH élimine les Whalers de Hartford en quatre. Puis il se débarrasse des Bruins de Boston en cinq. En finale d’association, le Tricolore a raison des Flyers de Philadelphie en six parties.

Le 25 mai 1989, lors du sixième affrontement de la grande finale, le Canadien perd la Coupe Stanley au profit des Flames de Calgary, qui soulèvent le précieux trophée, en plein Forum de Montréal. C’est la première fois de l’histoire qu’une équipe rivale commet un tel sacrilège dans le temple du hockey. Les fans sont déçus, dégoûtés, honteux.

Le lendemain, au bilan de la saison, l’instructeur Pat Burns, le directeur-gérant Serge Savard et les joueurs ont des faces d’enterrement. Les Glorieux n’ont pas rempli leur mission. Ils n’ont pas gagné la Coupe Stanley. Y a pas de quoi pavoiser.

Trente-cinq ans plus tard, le 16 avril 2024, le Canadien conclut sa saison, au Centre Bell, par une défaite de 5 à 4 face aux Red Wings de Detroit. Le CH est éliminé des séries pour une troisième année d’affilée. La foule est debout et applaudit son club, généreusement.

Le lendemain au bilan de la saison, le vice-président exécutif, Jeff Gorton, le directeur général, Kent Hughes, et les joueurs ont des mines réjouies. Le Canadien a une fiche globale de 30 victoires, 36 défaites en temps réglementaire et 16 défaites en supplémentaires, ce qui le place au 28e rang du classement général de la LNH. L’équipe a une victoire de moins que l’année dernière, mais malgré tout, on affirme qu’elle a progressé. Et c’est vrai. Si vous avez regardé juste les chiffres, non. Si vous avez regardé les matchs, oui. Le Canadien a mieux perdu, cette année, que l’an passé. C’est déjà ça.

On mentionne même le mot qui commence par un M. Le mot qui commence par un M, c’est comme dans l’alphabet, ça vient avant le mot qui commence par un P, « Playoffs ». Le M, c’est pour « Mixe ». Martin St-Louis a dit qu’il prévoyait que l’an prochain, le Canadien sera dans le mixe. Être dans le mixe, ça veut dire se battre pour une place dans les séries. Ça ne veut pas dire être dans les séries. Ça veut dire s’en rapprocher. Comme c’est habile. De la pression, mais la plus petite possible. On ajoute des haltères de 1 kg.

Si jamais les joueurs deviennent aussi habiles que leurs dirigeants, l’équipe deviendra invincible. En deux ans et demi, la nouvelle direction a complètement changé les attentes face au CH. Et ça marCHe !

Moi qui ai connu les belles années, je devrais être catastrophé de voir mon équipe préférée terminer dans le bas du classement. Pas du tout. J’ai pris plaisir à voir Suzuki, Caufield et Slafkovsky jouer ensemble. Enfin un premier trio ! Primeau m’a surpris entre les poteaux. Montembeault a joué des gros matchs. Je croyais Gallagher fini, il ne l’est pas. Matheson est un très bon défenseur en zone adverse. Guhle, en plus de ressembler à Tragicomix, l’amoureux de Falbala, dans Astérix légionnaire, a plusieurs autres qualités. Le peu qu’on a vu de Lane Hutson a été très divertissant. Bref, je n’ai pas tourné le dos au Canadien. J’ai même hâte au camp d’entraînement.

Les partisans du Canadien ont longtemps été considérés comme les plus exigeants du monde du sport. Aujourd’hui, ils applaudissent une équipe qui termine au 28e rang.

Les partisans du Canadien sont de bons parents. Les partisans du Canadien étaient exigeants avec leur enfant surdoué capable de grandes choses. Les partisans du Canadien sont compréhensifs avec leur enfant en développement. Ses résultats sont décevants, mais sa personne ne l’est pas. Sa personne est remplie de bonne volonté, alors les bons parents choisissent de l’encourager.

Les partisans aiment le Canadien. Et ils savent qu’aimer, c’est aider. Et réciproquement.

Gorton et Hughes sont de grands stratèges. S’ils réussissent la reconstruction du CH, faudrait penser à eux pour notre système de santé, notre système d’éducation et le prochain référendum.

En attendant, bonnes séries aux partisans des équipes qui en font partie !