J’ai souvent dit mon opposition à la loi 21. Cependant, je prends acte du consensus sur cette loi qui proclame la laïcité de l’État : un parti dûment élu a fait adopter une loi appuyée par une majorité de mes concitoyens, loi qui a (jusqu’à maintenant) largement passé le test des tribunaux.

La loi 21 passera-t-elle le test ultime, celui de la Cour suprême ?

On verra.

J’ai donc souvent dit mon opposition à la loi 21. Désormais, moins : à cause de ce que j’ai évoqué plus haut, de ce large consensus, du test de la légalité consacré par les tribunaux.

Le Fédération autonome de l’enseignement (FAE) a annoncé hier qu’elle se joint à la contestation juridique de la Loi sur la laïcité de l’État québécois devant la Cour suprême… Le prétexte : la FAE en a contre le recours à la disposition de dérogation.

Puis-je dire mon opposition ?

Bien sûr, des profs peuvent être touchés par la loi 21, encore que les profs en exercice qui portent des signes religieux bénéficient d’une clause « grand-père ».

Mais la loi jouit d’un appui populaire (entre 55  % et 65 % selon les sondages). On peut déduire qu’une majorité des membres de la FAE appuie la loi 21.

On ne peut en être certain, bien sûr. Il faudrait consulter tous les membres de la FAE pour en être certain.

Ce qui est absolument certain, c’est que la FAE n’a pas consulté les membres de la FAE à propos de cette contestation de la loi 21, sous prétexte de bémol à propos de la disposition de dérogation, une question constitutionnelle qui n’a qu’un lointain rapport avec l’enseignement.

Non, les « instances » de la FAE ont plutôt été consultées en… 2013 !

Par… sondage.

J’insiste : ce ne sont pas tous les membres de la FAE qui ont été consultés, ce sont les instances syndicales. Et ces instances composées de délégués ont été sondées sur le principe de l’interdiction des signes religieux, à l’époque de la Charte des valeurs du Parti québécois. Donc : rien à voir avec la loi 21 des caquistes, rien à voir avec la disposition de dérogation : il n’en était pas question, en 2013.

La FAE qui se lance dans la contestation de la loi 21 est un excellent exemple d’éparpillement syndical. On est loin des conditions de travail et d’exercice de la profession enseignante. On est dans le militantisme cher non pas aux membres, mais aux plus activistes des délégués, ceux qui font vivre les fameuses « instances ».

Simon Landry est un enseignant qui s’implique beaucoup dans les débats publics. En septembre, il a publié un essai, L’éducation au Québec en ce 21e siècle, qui fait un constat lucide des ratés du système. Il critique le ministère, les centres de services scolaires et… les syndicats.

« Il est fort prétentieux de la part d’une fédération comptant des dizaines de milliers de membres de dire que cette dernière parle “au nom des profs” sur certains enjeux économiques et sociaux, comme si tous les enseignants du Québec avaient des convictions identiques, alors que les taux de participation à leurs instances sont par moments faméliques. »

Simon Landry ajoute aussi qu’au fil du temps, les syndicats d’enseignants ont été « récupérés » par des militants pour faire avancer des causes qui sont chères à leurs yeux, causes qui n’ont rien à voir avec les conditions de travail des profs.

« Une fédération syndicale ne représente pas tous les enseignants, écrit Simon Landry, mais plutôt la majorité de ses militants les plus ardus lorsqu’elle conteste un projet de loi (comme celui de la loi 21 sur le port de signes religieux) ou lutte contre une mesure socio-économique (comme la tarification de divers services publics). Certains enseignants s’opposent à l’interdiction du port de symboles religieux dans les écoles, alors que d’autres y sont entièrement favorables. Prendre position dans ce débat entièrement politique revient à aliéner une partie de son “membership”, qui ne se sentira plus représentée par son syndicat. »

C’est très bien dit. Les syndiqués les plus militants utilisent l’argent des membres et les ressources des « instances » pour faire avancer des causes qui ne gagneraient jamais l’assentiment d’une majorité des profs, si leurs causes étaient soumises à un référendum.

Et n’oublions pas que la FAE a récemment envoyé ses membres en grève générale illimitée, sans fonds de grève, ce qui a considérablement heurté le portefeuille de plusieurs de ses membres. Dont certains ont dû faire la file devant des banques alimentaires…

Il est donc un peu étonnant, dans ce contexte, de penser que la FAE a du cash pour contester une loi devant la Cour suprême, une loi qui a bien peu à voir avec ce qui se passe en classe pour ses 66 000 camarades syndiqués.

J’ai une idée pour la FAE : demandez aux membres de financer les avocats qui vont travailler sur ce recours par une cotisation spéciale et volontaire. Juste pour voir si la contestation de la loi 21 devant la Cour suprême est à ce point importante pour la majorité de profs de la FAE qui ont autre chose à faire que de militer dans les fameuses « instances »…