Elles sont déjà sept : Chloé, Narjess, Lorraine, Hayette, Louise, Josianne, Marie-Claude. Sept femmes tuées au Québec depuis le début de l’année en contexte de violence conjugale. En quatre mois, on compte déjà autant de féminicides présumés que pour toute l’année 2023. Si la tendance se maintient, le bilan de 2024 s’annonce particulièrement funeste.

Alors que le manque de place dans les maisons pour femmes victimes de violence conjugale s’est encore aggravé, le filet de sécurité en place est-il suffisant ?

Interpellée à ce sujet la semaine dernière, la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, s’est montrée rassurante. Même si on n’a pas de places en maison d’hébergement pour toutes les victimes de violence, aucune « ne sera laissée sur le carreau », a-t-elle dit.

Celles qui sont refusées en maison d’hébergement sont dirigées ailleurs où l’on peut leur donner le soutien nécessaire, a affirmé la ministre. « On ne dit pas à une femme : “Rappelez-nous après-demain.” Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. On s’en occupe. On ne laisse pas les femmes en détresse toutes seules1. »

C’est peut-être rassurant comme réponse. L’ennui, c’est que c’est malheureusement faux.

Les données de SOS violence conjugale, une étude de Statistique Canada ainsi que les témoignages de directrices de maisons d’hébergement et d’intervenantes en violence conjugale brossent un portrait beaucoup plus inquiétant2.

À l’appui de son message jovialiste, la ministre Biron (qui n’a pas donné suite à ma demande d’entrevue) a invoqué notamment le programme d’aide financière d’urgence (AFU) qui, depuis l’automne 2021, permet à une personne victime de violence dont la sécurité ou celle de ses enfants est compromise de quitter rapidement un milieu dangereux. Dans certains cas, en l’absence de places en maison d’hébergement, la victime pourra être envoyée à l’hôtel.

Cette « solution » est vue comme un pansement sur une jambe de bois par de nombreuses intervenantes en maison d’hébergement. Cela crée un faux sentiment de sécurité pour des femmes en danger. Celles qui y ont recours sont trop souvent laissées à elles-mêmes sans l’encadrement, le soutien et les mesures de sécurité élémentaires qui s’imposent dans une telle situation, déplorent-elles.

« Ma crainte, c’est qu’il arrive quelque chose avec les femmes qui y ont recours », me dit Sabrina Lemeltier, directrice générale de La Dauphinelle.

On est en train d’utiliser une mesure pour pallier un manque. On la présente comme une solution alors qu’elle est dangereuse. C’est un pansement qui nous donne bonne conscience, mais qui n’est pas une réponse adéquate. En violence conjugale, on n’a pas 50 chances.

Sabrina Lemeltier, directrice générale de La Dauphinelle

On sait que le cycle de la violence conjugale inclut souvent, après un épisode violent, une phase de « lune de miel » où l’agresseur s’excuse et promet de changer. Une phase qui peut donner l’impression à la victime se retrouvant à cogiter seule avec ses questions devant un ex-conjoint qui n’arrête pas de la texter en lui faisant mille promesses qu’il n’y a plus de danger.

Pour Maud Pontel, de l’Alliance des maisons d’hébergement de 2étape, si l’aide financière d’urgence offerte à une victime pour quitter rapidement son foyer n’est pas attachée de manière systématique aux services d’une intervenante en maison d’hébergement, c’est presque voué à l’échec.

« S’il n’y a personne pour l’accueillir, décrypter et lui dire : “Non ! Réfléchis, c’est une stratégie de contrôle. Est-ce qu’il va vraiment changer ?” Si tu n’as pas une intervenante pour faire ça, elle va faire quoi, la femme, après ? »

En attendant que l’on construise davantage de maisons d’hébergement, les organismes qui défendent les femmes victimes de violence demandent à Québec que l’on ajoute deux postes par maison pour offrir des services à l’externe et faire de la prévention. Une demande qui n’a rien d’un caprice dans un contexte où les listes d’attente ne cessent de s’allonger et où le bilan des féminicides est déjà très lourd.

Il faut dire par ailleurs qu’un grand nombre de femmes extrêmement vulnérables, qui auraient besoin d’une maison d’hébergement, ne se qualifient pas pour autant pour l’AFU (qui exige notamment que l’on soit devant un danger imminent). C’est le cas de la grande majorité des personnes qui frappent à la porte des Maisons de l’Ancre, et pour qui la violence conjugale n’est qu’un fardeau parmi d’autres.

« Dans notre cas, il n’y a aucune alternative aux maisons d’hébergement », me dit Julie Chevalier, directrice générale des Maisons de l’Ancre.

L’an dernier, il y a eu 1440 refus par manque de places, soit une augmentation de 67 % depuis un an. Avec la crise du logement et l’absence d’hébergement à moyen ou à long terme, la situation se détériore sans cesse.

Ça fait en sorte que des femmes restent un peu dans la spirale de l’itinérance, même malgré elles, même lorsqu’elles sont autonomes.

Julie Chevalier, directrice générale des Maisons de l’Ancre

Tous les jours, faute de places suffisantes, les intervenantes des Maisons de l’Ancre doivent dire à contrecœur à des femmes de rappeler le lendemain.

« On leur donne une liste de maisons d’hébergement. Mais ce qu’on se fait dire souvent, c’est : “J’ai appelé partout sur la liste et c’est plein partout.” »

Bien que l’on essaie toujours de trouver une solution, il arrive que l’on n’en trouve pas.

« On dit : “Appelle SOS violence conjugale.” La femme répond : “J’ai appelé, mais la seule place est à deux heures et demie de chez moi. Comment mon enfant va aller à l’école ?” C’est ça, la réalité. »

Une réalité dramatique où un nombre croissant de femmes en grande détresse se retrouvent seules devant des choix qui n’en sont pas : tolérer un milieu violent ou sombrer dans l’itinérance ? Habiter dans son auto ou endurer des coups ?

Mais ne vous inquiétez pas. Selon la ministre de la Condition féminine, aucune n’est laissée sur le carreau.

1. Lisez l’article « 43 M $ pour mieux accompagner les victimes de violence conjugale » sur le site de Radio-Canada 2. Lisez l’article « “C’est fou, le nombre de femmes qu’on refuse” »

Quelques ressources pour les victimes de violence conjugale et leurs proches

SOS violence conjugale : 1 800 363-9010 (ligne sans frais) ou 438 601-1211 (par texto)

Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (Montréal) : 514 878-9757

Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale : 514 878-9134

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