Bouquet de fleurs et verre à la main, Marie-Perle Vézina sourit sur une photo prise le jour de ses 30 ans. Quatre ans plus tard, la même jeune femme a le visage tuméfié. Une vidéo la montre dans une chambre d’hôpital, complètement coupée de la réalité, hochant frénétiquement la tête. Quand ils regardent ces images de leur fille, Colette Éthier et Richard Vézina ont le cœur brisé. En la confiant en hébergement il y a neuf ans, ils ne croyaient pas que son état se dégraderait autant.

« Ils en font un légume », déplore M. Vézina. « Elle n’a plus de vie », ajoute Mme Éthier. La jeune femme a demandé à La Presse de « raconter [son] histoire ».

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Marie-Perle Vézina a une déficience intellectuelle légère à modérée.

Les parents le reconnaissent : le cas de leur fille est lourd. Marie-Perle Vézina a une déficience intellectuelle légère à modérée. Des troubles de santé mentale. Elle présente une délétion du chromosome 9, une maladie qui touche 50 personnes dans le monde. Elle a le syndrome de Gilles de  la Tourette et un trouble de comportement grave. Elle a habité avec ses parents jusqu’à l’âge de 25 ans, jusqu’à ce que, épuisés, ils se résignent à la confier en hébergement.

De 2015 à 2023, la jeune femme a séjourné dans 13 milieux de vie : deux familles d’accueil, une ressource intermédiaire, un centre d’hébergement et trois ressources à assistance continue (RAC), le tout entrecoupé d’hospitalisations en psychiatrie. À deux reprises, insatisfaits des services offerts, les parents de Marie-Perle l’ont reprise à la maison. Dans certains milieux, elle a connu des jours heureux. Mais la situation n’a jamais duré, disent ses parents.

« On m’a souvent dit qu’à la maison, ma fille avait une Cadillac. Mais que là, il fallait que je me contente d’avoir une Lada... », dit Mme Éthier.

« Qu’est-ce qui va arriver quand on ne sera plus là ? »

L’histoire de Marie-Perle Vézina et celle d’Alexandre, présentée à l’onglet suivant, rappellent celle de D., enfant de 9 ans lourdement handicapé hébergé l’an dernier à l’Unité Le Jardin à Laval et dont l’histoire a été présentée le mois dernier dans La Presse. Ces cas sont loin d’être uniques, selon Delphine Ragon, coordonnatrice à l’organisme PARDI, qui offre du soutien aux parents et proches de gens vivant avec une déficience intellectuelle.

Il y a une incapacité du réseau d’accueillir des personnes avec un trouble grave du comportement.

Delphine Ragon, coordonnatrice à l’organisme PARDI

Dans l’une des RAC, Marie-Perle Vézina était « bourrée de médicaments et laissée dans sa chambre », dénoncent ses parents. Photos à l’appui, ceux-ci montrent les nombreux bleus affichés par leur fille au fil des ans, dont deux yeux au beurre noir. Chaque fois, « avoir des réponses [sur ce qui s’est passé] est difficile, dit Mme Éthier. [...] On doit se battre tout le temps ».

En 2023, Marie-Perle est confiée à la RAC Lily Butters à Saint-Hyacinthe. Au bout de cinq jours, elle y est agressée par un autre résidant. Elle présente un saignement intracrânien et a les lèvres bleues, affirment les parents. Après une hospitalisation de 10 jours, elle retournera à la RAC, avant d’être de nouveau hospitalisée en psychiatrie peu après, encore un œil au beurre noir, disent-ils. M. Vézina est inquiet. « On est encore là pour défendre les droits de Marie-Perle. Mais qu’est-ce qui va arriver quand on ne sera plus là ? », souffle-t-il. Mme Éthier déplore que le réseau soit «  incapable d’assurer un filet de sécurité » autour de ces personnes hébergées.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Marie-Perle Vézina a subi d’’importantes blessures à l'été 2023 à la RAC Lily Butters à Saint-Hyacinthe.

Le CISSS de la Montérégie-Ouest (CISSSMO) n’a pas voulu commenter ce cas. Directrice adjointe DI-TSA-hébergement à la direction des programmes déficience du CISSSMO, Annie Couture explique que certains usagers en RAC sont « fort complexes », mais elle assure que le « niveau d’expertise [des employés] augmente », si bien que les parcours comme celui de Marie-Perle sont « plutôt exceptionnels » et « certains ont des dénouements très heureux actuellement ». Selon Mme Couture, il manque particulièrement d’assistants en réadaptation dans les RAC, mais « la qualité des services est au rendez-vous ».

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Annie Couture, directrice adjointe DI-TSA-hébergement à la direction des programmes déficience du CISSS de la Montérégie-Ouest

Adjointe au directeur responsable des projets d’envergure en hébergement DI-TSA au CISSSMO, Laurence Pérusse-Tardif affirme qu’une attention est portée au jumelage des usagers en RAC pour « éviter qu’ils se provoquent entre eux ». Mais le nombre de places d’hébergement est insuffisant en Montérégie. Uniquement pour la clientèle jeunesse, on parle d’une hausse de 260 % de demandes d’hébergement depuis 2020.

Des changements en cours

Le gouvernement est « venu au constat » en 2021 que les RAC n’étaient pas nécessairement les meilleurs milieux pour agir auprès de personnes avec un trouble grave du comportement, rappelle Lambert Drainville, attaché de presse du ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant.

Depuis, le gouvernement a investi pour déployer un modèle de réadaptation comportementale intensive (RCI). Ce modèle mise sur des équipes composées notamment de psychoéducateurs et d’infirmières. Sept régions en sont actuellement dotées. « Toutes les autres régions sont en processus de dotation », indique le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Trois unités de réadaptation comportementale intensive (URCI) ont aussi été déployées à Québec, en Montérégie et dans le Bas-Saint-Laurent. Ces unités, qui ne sont pas des ressources d’hébergement mais plutôt des lieux de soins de courtes durées, ont une approche « préventive » et visent à résorber les comportements problématiques d’usagers pour leur permettre de réintégrer leur milieu de vie, indique le MSSS. M. Drainville indique que le déploiement du modèle RCI « se poursuit ».

Mais sur le terrain, les changements tardent à se concrétiser, selon Nathalie Boulet, intervenante familiale à Autisme Montréal. « Il y a de la bonne volonté. Il y a des équipes performantes dans certaines RAC. Mais la réalité est qu’il y a encore trop de personnel trop peu formé », dit-elle.

Maryse*, dont le fils de 21 ans est hébergé depuis cinq ans dans différentes RAC du Grand Montréal, estime qu’il n’a depuis « atteint aucun des objectifs de son plan d’intervention ». « Il a été suivi par 12 éducatrices spécialisées différentes en cinq ans [...] On dirait que l’objectif n’est pas de lui donner de l’indépendance. Mais de juste lui donner des repas, de lui faire prendre sa douche et de lui donner des médicaments, dit-elle [...] Il fait une marche deux fois par semaine. C’est tout. On se demande ensuite pourquoi il est agressif... »

* Prénom fictif par crainte des représailles sur son enfant

En savoir plus
  • 1462
    Nombre de places d’hébergement à la Direction des programmes de déficience au CISSSMO
    Source : Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Ouest
    294
    Nombre de places supplémentaires nécessaires pour répondre à la demande d’hébergement dans les programmes de déficience au CISSSMO
    Source : Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Ouest