Des dizaines de postes abolis, un nombre de lits réduit du quart : une ressource essentielle pour des Québécois toxicomanes a dû revoir son offre à la baisse, faute de financement adéquat, a appris La Presse.

La semaine dernière, l’organisme Portage, qui compte neuf centres de réadaptation dans la province, a dit adieu à 25  employés, en plus d’éliminer 19  postes vacants, ce qui représente environ 10 % de ses effectifs québécois. Au fil du départ de bénéficiaires, 53 lits seront retirés, soit 24 % de la capacité d’accueil de l’organisme dans la province.

En cause : le refus du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) de bonifier une enveloppe d’aide annuelle de 16 millions en vigueur depuis 2018. Ce soutien public, qui venait à échéance le 31 mars 2023, représente 90 % du financement de l’organisme, contre 10 % pour la Fondation Portage.

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Une animatrice dirige un groupe de discussion au Centre mère-enfant de l’organisme Portage, à Montréal.

Le hic ? Depuis la négociation de l’entente, l’inflation a bondi de plus de 20 %, tandis que les sommes ont été indexées d’au plus 1 % par année. La direction de Portage a amorcé des négociations avec le MSSS en 2022, mais ce n’est qu’en février dernier qu’elle a appris que l’entente spécifique signée en 2018 ne serait pas bonifiée.

« On demandait 4 millions annuellement de plus », explique Seychelle Harding, directrice des communications de Portage. « On ne pouvait pas maintenir notre offre de services actuelle sur la base de paramètres définis il y a sept ans. »

Du jamais-vu

L’organisme à but non lucratif, qui a fêté ses 50 ans l’an dernier, a comme mission d’accompagner des toxicomanes du Québec, de l’Ontario et de l’Atlantique dans leur lutte contre la dépendance et dans leur réinsertion sociale. Certaines ressources offrent des services spécialisés pour les adolescents, les patients aux prises avec des troubles de santé mentale ou encore les femmes enceintes et les mères de jeunes enfants.

En un demi-siècle, « on n’a jamais vu une situation aussi critique qu’aujourd’hui », note Mme Harding, porte-parole de Portage.

On connaît tous la situation actuelle avec les problèmes de toxicomanie, la crise des opiacés. C’est crucial d’avoir des lits et des places pour les gens qui en ont besoin, parce que ces gens-là, on le sait, vont se retrouver en situation d’itinérance, à l’hôpital ou à la morgue.

Seychelle Harding, directrice des communications de Portage

Les coupes affectent principalement le tout premier centre inauguré par Portage, près du lac Écho, à Prévost, dans les Laurentides. L’établissement affichait déjà un taux d’occupation de 104 %. « Juste là, on a perdu 40 lits, 30 pour adultes et 10 pour adolescents, sur le total de 53 [qui seront retirés dans le réseau]. C’est énorme. […] On ne met personne dehors, mais les gens qui quittent leur programme ne seront pas remplacés. »

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Le premier centre de réadaptation en toxicomanie Portage a ouvert ses portes en 1973 à Prévost, près du lac Écho, dans les Laurentides.

S’il existe déjà une liste d’attente pour les adultes – 71 demandes pour 50 lits avant les coupes –, ce sera au tour des adolescents toxicomanes de devoir patienter à compter de la semaine prochaine.

Ailleurs au Québec, neuf lits seront amputés au Centre de thérapie pour toxicomanie et santé mentale, à Montréal, tandis que le Centre mère-enfant, aussi dans la métropole, et le Centre pour adolescents et jeunes adultes (14-21 ans) de Saint-Malachie retireront chacun deux places.

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Portage utilise l’approche de la « communauté thérapeutique » : les résidants s’offrent une aide mutuelle, accompagnés par des intervenants cliniques.

« Ça va coûter pas mal plus cher de ne pas nous financer, parce qu’on va se retrouver avec encore plus de personnes aux urgences, dans des campements en dessous des ponts, etc. », se désole Seychelle Harding, qui espère toujours qu’une entente avec le MSSS permettra de rétablir la situation.

« Le rôle d’un organisme en traitement des dépendances comme Portage est très important, particulièrement alors que les enjeux liés aux drogues et aux opioïdes se compliquent partout au Canada et en Amérique », a réagi le porte-parole du ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, dans une déclaration transmise à La Presse. « C’est pourquoi le ministre a tenu à rencontrer l’organisme à de multiples reprises dans les dernières semaines, afin de tenter de trouver des pistes de solution aux enjeux soulevés. Dans l’attente de la nouvelle entente, l’entente actuelle a été reconduite avec son financement. »

« Des options sont sur la table présentement quant à la possibilité d’un financement additionnel pour Portage, options explorées avec le CIUSSS Centre-Sud », poursuit l’attaché de presse Lambert Drainville. « Tout le monde, incluant Portage, travaille ensemble afin de trouver une voie de passage rapidement. »

Ce texte a été modifié afin de préciser que les lits retirés par Portage correspondaient à 24 % du réseau québécois de l’organisme, et non de l’ensemble des lits en toxicomanie à travers la province.

Qu’est-ce que Portage ?

Le premier centre de réadaptation en toxicomanie Portage a ouvert ses portes en 1973 à Prévost, près du lac Écho, dans les Laurentides.

L’organisme à but non lucratif utilise l’approche de la « communauté thérapeutique » : les résidants s’offrent une aide mutuelle, accompagnés par des intervenants cliniques. Portage n’est pas un service de cures de désintoxication.

L’objectif de Portage est de permettre aux bénéficiaires de « vaincre leur dépendance et de vivre une vie sobre, heureuse et productive ».

Le réseau de centres s’est étendu à plusieurs villes du Québec, puis à l’Ontario en 1985, et dans les provinces atlantiques à partir de 1996.

En savoir plus
  • 1500
    Nombre de bénéficiaires annuels des services de réadaptation en dépendance à Montréal, dans les Laurentides, à Québec et à Saint-Malachie
    De 150 à 200
    Nombre de Québécois qui ne pourront plus être pris en charge par Portage cette année
  • 7,9 milliards
    Coût associé à l’usage de drogues et d’alcool pour le Québec en 2017, selon le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances