On retrouve des métaux lourds issus de la pollution industrielle jusque dans les algues. Mauvaise nouvelle ? Pas pour des chercheurs qui tentent d’extraire ces métaux rares afin de produire du biocarburant.

« Nous travaillons depuis 2015 sur la production de biocarburants à partir d’algues », explique Scott Edmundson, botaniste qui dirige la section de biogéochimie du Laboratoire national du nord-ouest du Pacifique (PNNL) du gouvernement américain. « Assez rapidement, nous avons rencontré le problème des résidus des algues. Comment s’en débarrasser autrement qu’en les envoyant au dépotoir ? Juste avant la pandémie, j’ai eu l’idée de purifier les métaux présents dans les algues. Plusieurs sont des métaux rares essentiels à la transition énergétique. »

En décembre dernier, M. Edmundson a démontré dans un rapport qu’il est économiquement rentable d’extraire de certaines algues des « lanthanides », famille de 15 éléments chimiques qui font partie des « terres rares », utilisées dans les batteries. Son projet, appelé « Uncle Sam » (Extraction de lanthanides critiques non réalisée par biominerais d’algues), vient d’être choisi par un programme de subventions aux technologies de biominerais du département de l’Énergie américain.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU PNNL

Scott Edmundson, botaniste et directeur de la section de biogéochimie du Laboratoire national du nord-ouest du Pacifique (PNNL) du gouvernement américain

Au départ, nous avions pensé à la récupération du phosphore et du fer, mais ce n’était pas assez rentable pour produire du biocarburant algal. Mais avec l’exploitation des métaux rares dans les algues, on peut potentiellement obtenir une rentabilité.

Scott Edmundson, botaniste et directeur de la section de biogéochimie du PNNL

« À la limite, on pourrait simplement vendre les protéines extraites des algues, poursuit M. Edmundson, un marché qui existe actuellement, mais qui est limité aux algues non contaminées par la pollution. »

Le seul autre groupe dans le monde qui étudie cette question est situé au Portugal. « Il travaille depuis une dizaine d’années sur l’utilisation d’algues comme sentinelles de la pollution, dit M. Edmundson. Ce sont les travaux de ces chercheurs qui ont montré le potentiel des algues à bioaccumuler certains polluants, dont certains métaux rares. Comme moi, ils se sont rendu compte qu’on pourrait extraire ces minerais, qui sont actuellement soit extraits dans des pays pauvres, en guerre, ou alors contrôlés par la Chine. »

Nuire aux écosystèmes ?

À l’Université Laval, le biologiste Ladd Erik Johnson, spécialiste des algues, estime que cibler les minerais rares des algues pourrait être une stratégie viable. « Il y a plein d’exemples de gens qui ont proposé d’utiliser les algues pour en extraire différentes molécules, dit M. Johnson. Mais généralement, on se heurte à des limites, on ne parvient pas à en produire assez. On produit des protéines pour les produits cosmétiques, par exemple. Ou alors, on prend les algues comme telles comme engrais ou composants de produits alimentaires. »

Le danger, selon M. Johnson, est que l’exploitation minière des algues menace des écosystèmes.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ LAVAL

Ladd Erik Johnson, biologiste et spécialiste des algues de l’Université Laval

Les algues sont essentielles au bon fonctionnement de plusieurs écosystèmes. Alors il ne faut pas les éliminer pour en extraire des minéraux.

Ladd Erik Johnson, biologiste de l’Université Laval

À quoi sert la concentration de certains métaux et minéraux dans les algues ? « Des chercheurs japonais ont montré, en 2011, que les lanthanides rendaient plus actives certaines enzymes des algues. Depuis, c’est un domaine de recherche en ébullition. »

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Certaines algues concentrent des métaux issus de la pollution.

Rentabiliser les usines de désalinisation

Traditionnellement, les projets de biominerais utilisaient des bactéries pour produire ces minerais. « Mais on a des limitations de quantités et des coûts importants », dit M. Edmundson. C’est que les bactéries sont insérées dans des bassins d’eau de mer pour concentrer biologiquement les minerais et métaux. Mais le processus est lent, alors les quantités produites sont limitées.

L’autre avenue est d’extraire les minéraux de l’eau de mer. C’est envisagé depuis longtemps pour rentabiliser les usines de désalinisation.

Scott Edmundson, botaniste et directeur de la section de biogéochimie du PNNL

L’un des épisodes marquants de l’histoire des biominerais implique l’inventeur des engrais chimiques, l’Allemand Fritz Haber. « Après la Première Guerre mondiale, il avait calculé que l’Allemagne pourrait rembourser ses dettes de guerre en extrayant de l’or de l’eau de mer, dit M. Edmundson. Comme c’était le chimiste le plus réputé du monde, le gouvernement allemand l’a écouté. Il a installé des extracteurs sur des navires faisant le transport de passagers dans l’Atlantique. Mais il avait basé ses calculs sur un échantillon placé dans un bécher sale. Alors, il a récolté 1000 fois moins d’or que prévu. »

La bioaccumulation de métaux dans les algues pourrait-elle rendre le rêve de Fritz Haber rentable ? « Peut-être pas directement, mais en extrayant d’autres minerais rares, on pourrait peut-être rentabiliser l’extraction d’or des algues. »

Les algues au Québec…

Une poignée d’entreprises québécoises exploitent les algues comestibles, selon Ladd Erik Johnson. « C’est surtout dans la baie des Chaleurs, ce sont de très petites entreprises. » Selon un article de 2021 de l’Ordre des diététistes du Québec, 14 espèces d’algues sont récoltées de façon artisanale au Québec et une est cultivée.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU JOURNAL OF APPLIED PHYCOLOGY

Usine d’algues à Nantai, entre Pékin et Shanghai

… et en Chine

La Chine est le géant mondial de la récolte d’algues. Les deux tiers de la production mondiale, plus de 2,5 millions de tonnes par année, ont lieu dans l’empire du Milieu, selon une étude chinoise publiée en 2015 dans le Journal of Applied Phycology. Plus de 90 % de la production chinoise est alimentaire. « Les algues sont très prisées dans la cuisine asiatique et la Chine a fait beaucoup de recherches dans leur utilisation dans d’autres domaines, notamment comme engrais », dit M. Johnson.

En savoir plus
  • 1,5 million
    Montant des subventions au projet Innovalgue sur la récolte d’algues québécoises
    Source : radio-canada
    8
    Nombre de permis commerciaux de récolte d’algues au Canada en 2021
    Source : radio-canada