Un article du journal français Le Monde sur l’exclusion de plus en plus courante des enfants dans les hôtels et restaurants nous a interpellés. Devenons-nous, nous aussi, de plus en plus intolérants ? À tel point que nous préférons passer nos vacances au calme dans des hôtels réservés aux adultes ? Les enfants sont-ils plus agités qu’autrefois ou les parents, trop laxistes ?

« Les gens ne veulent plus d’enfants dans certains lieux, car les parents ne font pas leur boulot ! », lance la comédienne et animatrice Jessica Barker, mère de deux filles de 7 et 12 ans, et autrice de Maman, dis-moi : la maternité sans filtre ni tabou. « J’ai vu des enfants courir dans les restaurants, ce qui est inadmissible et dangereux, en plus d’être impoli. Le contrecoup, c’est de les exclure ? Ah non ! »

Qu’on se rassure, ça n’arrivera pas, car « en vertu de la Charte québécoise des droits et libertés, nous ne pouvons refuser l’entrée pour des motifs liés à l’âge », explique Martin Vézina, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association Restauration Québec. « Les enfants, c’est notre future clientèle. C’est bien de les initier à la gastronomie, mais c’est aux parents de veiller à leur bon comportement. »

Pour le psychologue Marc Pistorio, auteur de Parent sécurisant, enfant sécurisé, les parents doivent aider leurs enfants à intégrer les règles sociales pour bien fonctionner en société.

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Le psychologue Marc Pistorio

Les parents ont peur de poser des limites. Dans les lieux publics, il y a une responsabilité sociale des parents. Un enfant ne peut pas faire n’importe quoi simplement parce que c’est un enfant !

Marc Pistorio, psychologue et auteur

Il y a des endroits destinés à chaque âge, estime Olivia Troupel, professeure de psychologie de l’enfant à l’Université de Toulouse. « Je n’irai pas glisser sur un toboggan dans un parc ! lance-t-elle. Il y a des âges pour tout, et des endroits qui correspondent davantage aux adultes qu’aux enfants. Un enfant ne va pas forcément apprécier d’aller dans un grand restaurant où il devra rester assis pendant des heures ou un spa. Ça n’a pas de sens. »

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Les enfants sont-ils plus agités qu’autrefois ou les parents, trop laxistes ?

Manque de repères

Jessica Barker aime sortir avec ses filles au restaurant et estime qu’elles savent se comporter. « On ne va pas passer sa vie à manger chez St-Hubert juste parce qu’on a des enfants ! déplore-t-elle. Mes filles sont conscientes que dans les endroits publics, il faut bien se tenir. À la bibliothèque, elles savent qu’il ne faut pas faire de bruit, mais on dirait que des parents ont abdiqué ! »

Certains enfants ne sont pas éduqués, croit Olivia Troupel.

Ils ne disent pas bonjour, merci, au revoir, ils ne savent plus rester assis. On en voit qui hurlent dans les magasins, qui ne supportent plus les frustrations, car la frustration, ça s’apprend, ce n’est pas inné. On est dans une société qui veut tout, tout de suite, le temps d’attente n’existe plus.

Olivia Troupel, professeure de psychologie de l’enfant à l’Université de Toulouse

La professeure évoque aussi le fait que les parents se sentent perdus, en manque de soutien et de repères. Ils ne savent plus ce qui se fait ou ce qui ne se fait pas, ce qui est normal ou pas.

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Dans l’avion, lorsque des parents avec un bébé s’assoient à côté de nous, avouons-le, nous espérons que notre voyage ne sera pas un enfer.

Dans l’avion, lorsqu’on voit arriver des parents avec un bébé, on jette un regard effrayé. Et lorsqu’ils s’assoient à côté de nous, avouons-le, nous espérons que notre voyage ne sera pas un enfer. « On devrait plutôt faire preuve d’empathie », pense Marc Pistorio.

À ce titre, Malaysia Airlines et Corendon Airlines ont d’ailleurs des espaces réservés aux adultes et offrent ainsi plus de quiétude à leurs voyageurs.

Les hôtels réservés aux adultes

Au Québec, Transat propose une sélection d’hôtels réservés aux adultes, et la demande pour ces établissements sans enfants est en pleine croissance. « Les données montrent une augmentation significative de l’intérêt pour ce type de séjour depuis 2018 (en retirant les années marquées par la pandémie). Entre 2022 et 2023, nous avons enregistré une hausse impressionnante de plus de 60 % dans la demande pour ce type d’hôtels. Il est clair que ce segment du marché du tourisme continue d’évoluer rapidement, répondant ainsi à un besoin de plus en plus affirmé de voyages centrés sur le bien-être », répond par courriel Marie-Christine Pouliot, cheffe, relations publiques et contenu marketing de Transat.

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La demande pour les établissements réservés aux adultes est en pleine croissance.

La clientèle qui fréquente ces hôtels est composée principalement de couples d’adultes de 45 à 64 ans. « De nombreux voyageurs cherchent des expériences qui favorisent la tranquillité, la connexion profonde avec la nature, la culture locale, les autres et soi-même. Ces aspirations se traduisent par une préférence pour des séjours dans des environnements réservés aux adultes, où le calme et la sérénité sont plus facilement atteignables », écrit Marie-Christine Pouliot.

Le calme et la sérénité. Sans enfant. Sans bruit. Est-ce notre aspiration ultime ?

On est devenus plus individualistes. On veut satisfaire nos besoins, ce qui se traduit par une intolérance au bruit et aux enfants. C’est un problème de ne pas inclure les parents et les enfants dans certains lieux, et ça ne va pas arranger les choses.

Marc Pistorio, psychologue et auteur

Jessica Barker a été très surprise d’être invitée à un mariage… sans enfants ! « S’il y a un endroit où tu veux des enfants, c’est bien dans un mariage, ça fait partie de la vie ! Il n’y a rien de plus beau qu’une fête comme un mariage où toutes les générations sont mélangées ! »

Le développement social des enfants passe par les interactions avec différents groupes d’âge dans différents lieux, soutient Marc Pistorio. « Pourquoi les priver d’un rituel comme un mariage ? C’est crucial pour les enfants d’explorer, d’interagir, de résoudre des conflits. Les priver de tout cela peut compromettre leur développement social. Les gens doivent comprendre que les enfants font partie du paysage social ! Apprenons la tolérance, la patience. C’est ça aussi, la vie. C’est le monde qui nous entoure. »