On attend des garçons qu’ils soient différents de leurs aînés : plus ouverts, plus sensibles, plus respectueux et plus aptes à exprimer leurs émotions. Soutient-on suffisamment leur transformation ?

Il y a quelques années, Philippe Roy, professeur à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke, arpentait les allées d’un magasin de jouets. Ce qui a attiré son attention, ce n’est pas que les poupées et camions étaient classés selon un modèle encore très stéréotypé, mais les messages adressés aux filles et aux garçons.

« Du côté des filles, il y avait une bannière Barbie qui disait aux filles qu’elles peuvent être ce qu’elles veulent : joueuse de soccer, juge, pompière, énumère-t-il. Du côté des garçons, qu’est-ce que vous pensez qu’on disait ? Rien. Il n’y avait rien. »

L’anecdote est révélatrice d’un manque, selon ce spécialiste des questions de masculinité.

On encourage les filles à sortir du stéréotype et on ne dit rien aux garçons pendant ce temps-là.

Philippe Roy, professeur à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke

Que font les garçons, alors ? Ils prennent les modèles qu’ils trouvent, notamment dans l’environnement médiatique.

Or, sur les réseaux sociaux, il y a eu une résurgence de discours misogynes et dans la culture populaire – musique, télé, cinéma, jeux vidéo, etc. –, le modèle dominant demeure celui de l’homme musclé, plus prompt à l’action qu’à l’introspection. Ce modèle « enferme les garçons » et les met à risque, souligne Philippe Roy. Les études disponibles montrent une tendance lourde : plus les hommes adhèrent au modèle masculin traditionnel, moins ils vont bien.

Les normes sociales placent encore les hommes, et par extension les garçons et les ados, devant un dilemme, résume le chercheur. S’ils adhèrent de manière rigide au modèle traditionnel masculin, ils risquent d’avoir des problèmes de dépression, d’idéation suicidaire et de relations toxiques avec les femmes. S’ils vont dans la direction opposée et résistent fortement à ce modèle, ils prennent le risque d’être stigmatisés et ostracisés par les autres hommes.

Ce réflexe d’exclure les garçons qui mettent le pied à côté du sentier de la masculinité traditionnelle commence très tôt. Dans le documentaire The Mask You Live In, qui s’intéresse à la socialisation masculine, un intervenant affirme qu’à environ 5 ans, tous les garçons vont en pointer un autre si on leur demande qui est « moumoune » (sissy, en anglais) dans leur groupe.

Gilles Tremblay, professeur retraité de l’École de travail social de l’Université Laval, raconte d’ailleurs qu’au même âge, l’un de ses petits-fils a fait rire de lui le jour où il est arrivé avec une boîte à lunch rose à la maternelle. Il n’a bien sûr plus voulu l’utiliser. « Qu’est-ce qu’on aurait dit si une fille était arrivée avec une boîte à lunch bleue ? demande-t-il. Rien. Elle ne se serait pas fait dire qu’elle avait une boîte à lunch de garçon. »

Développer une masculinité positive

Orlando Ceide et Jean Wedne Collin, intervenants à la Maison d’Haïti, à Montréal, pilotent un très rare programme destiné aux préados et ados visant justement à déconstruire cette vision étroite et stéréotypée de la masculinité. L’initiative s’appelle simplement « Projet Gars » et offre un espace de discussion à des garçons de 10 à 17 ans qui fréquentent ce pôle communautaire du quartier Saint-Michel. « Ici, ils savent qu’ils peuvent tout dire et qu’ils ne seront pas jugés, explique Orlando Ceide. Le principe, c’est : ce qui se dit ici reste ici. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Jean Wedne Collin et Orlando Ceide, intervenants à la Maison d’Haïti.

Autour de la table, les garçons sont encouragés à s’exprimer comme ça leur vient. « Après, si ça a besoin d’être recadré, remis en question ou reformulé, on le fait, mais la parole est libérée », précise Jean Wedne Collin. Cette liberté de poser des questions et dire ce qu’ils ressentent, ils ne la trouvent pas ailleurs.

La liste des sujets intéressant les garçons, inscrits sur une grande feuille déposée sur la table devant les intervenants, confirme la portée intime des discussions possibles au Projet Gars. Aux côtés de mots comme « TDAH », « religion », « droit de liberté » et « autisme », on trouve notamment plusieurs autres thèmes associés aux relations amoureuses et à la sexualité. « En rencontre individuelle ou en petit groupe, ils sont capables de se livrer s’ils ont confiance », assure Jean Wedne Collin.

Orlando Ceide et lui constatent aussi que si la Maison d’Haïti est un espace sécuritaire pour ces garçons, ceux-ci sont bien conscients que les règles du jeu changent lorsqu’ils se trouvent à l’école ou au parc, où la pression de se conformer est forte. En cherchant à détricoter les stéréotypes de la masculinité dite toxique, le Projet Gars vise toutefois à diminuer l’écart entre ce que les garçons sont à l’intérieur d’eux-mêmes et ce qu’ils osent afficher à l’extérieur.

Entre diversité et stéréotype

Des initiatives positives comme celle de la Maison d’Haïti, il y en a peu au Québec, et peut-être aucune autre, selon Philippe Roy. Or, nombre d’ados et de garçons d’aujourd’hui y trouveraient peut-être leur compte. « Nos jeunes garçons sont beaucoup plus ouverts à l’expression des émotions que les plus vieilles générations », dit Gilles Tremblay.

Le chercheur, aujourd’hui à la tête du Pôle d’expertise et de recherche en santé et bien-être des hommes, estime que les gars d’aujourd’hui ont accès à une plus grande diversité de modèles. Les démonstrations d’affection physique dans les amitiés masculines seraient plus courantes et la présence de couples gais est courante dans bien des environnements, dit-il par exemple. « On a beaucoup de jeunes qui vont bien, ajoute le chercheur, et qui développent d’autres modèles de masculinité. »

L’affirmation d’une identité masculine en dehors de la norme « demande de faire une démarche personnelle », précise-t-il toutefois, ce qui ne va pas de soi puisque les gars « ont toujours été habitués à chercher des modèles tout faits ».

PHOTO FOURNIE PAR GILLES TREMBLAY

Gilles Tremblay, professeur retraité de l’École de travail social de l’Université Laval

Quels modèles de garçons a-t-on dans les dessins animés ou les jeux vidéo ? Pas beaucoup de garçons tendres et attentifs. Heureusement, les pères sont maintenant beaucoup plus présents et offrent une autre option.

Gilles Tremblay, professeur retraité de l’École de travail social de l’Université Laval

Il y a encore du chemin à faire en ce qui a trait à la socialisation masculine, en commençant par la sphère familiale. Des parents, même bien intentionnés, perpétuent certains stéréotypes. On favorise encore l’attachement chez les filles et l’autonomie chez les garçons, remarque Gilles Tremblay, ce qui incite ces derniers à chercher une validation de ce qu’ils sont dans leur environnement, les amis ou les modèles médiatiques disponibles.

Philippe Roy évoque quant à lui une étude démontrant que les parents réagissent aux comportements jugés « non conformes au genre » précisément selon le genre de leur enfant. « Les parents sont plus mal à l’aise quand c’est un garçon qui a un comportement jugé non conforme au genre. Cet inconfort est aussi plus grand quand le parent est un papa », résume-t-il. Bref, le sentier menant à la masculinité demeure « très étroit » pour les garçons.

« Il y a des gens qui disent qu’avec les histoires de diversité de genre, les gars ne savent plus être des hommes. Les études disent que, au contraire, quand le contexte social permet une plus grande diversité dans l’expression de la masculinité, les hommes sont moins à risque. Ils n’ont plus besoin de se prouver qu’ils sont des hommes au point de se faire du mal, souligne encore Philippe Roy. Dire aux gars qu’ils peuvent s’inspirer de qui ils veulent, ça fait aussi partie de la diversité. »

Appel à tous

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