Les artistes québécois exercent-ils une influence sur les jeunes hommes ? La culture populaire québécoise a-t-elle encore un impact sur eux ? Notre chroniqueur en discute avec trois humoristes, Jay Du Temple, Louis Morissette et Adib Alkhalidey.

Jay Du Temple est en quelque sorte l’anti-Andrew Tate. Un modèle alternatif à la vision étriquée de la masculinité dite toxique, qui a la cote chez certains jeunes hommes. Il est à la masculinité moderne ce qu’Andrew Tate est à la masculinité traditionnelle. Un symbole, un archétype.

« Je n’ai pas trop suivi son parcours », dit l’humoriste et animateur québécois à propos du populaire influenceur masculiniste américano-britannique, qui sera jugé en Roumanie pour viol et traite d’êtres humains.

Alors que des téléspectateurs réagissaient fortement à ses teintures flamboyantes ou à ses ongles colorés, Jay Du Temple a inspiré bien des garçons à être eux-mêmes, et à l’exprimer librement, pendant ses six ans à l’animation de la téléréalité Occupation double. Par son humour, par sa bienveillance, et bien sûr par son style, qui brouillait les codes du genre.

« OD m’a amené ce contact avec les jeunes, dit-il. Le côté positif d’OD, c’est que pour beaucoup de familles, c’était rassembleur. C’est une des rares émissions que des parents écoutaient avec leurs ados. »

Occupation double a fait de lui une icône auprès d’un jeune public, notamment masculin. On a vu soudainement plus de jeunes hommes porter la jupe, se teindre les cheveux en rose ou se peindre les ongles en vert. En faisant fi des codes de la masculinité traditionnelle.

C’est sans doute parce qu’il a inspiré autant de jeunes hommes que le populaire animateur a été nommé dans le palmarès des 100 personnes les plus influentes du Québec du magazine L’actualité, le mois dernier. « J’essaie le plus possible d’être en phase avec mes valeurs, d’être moi-même, dans mes choix et dans mes shows, dit l’humoriste de 32 ans. Si ça peut inspirer positivement des gens, tant mieux. »

L’humoriste, auteur, comédien et musicien Adib Alkhalidey capte lui aussi l’attention d’un jeune public masculin avec l’acuité de son humour et de sa sensibilité, en contrepoint de ce que distille la manosphère. Il se décrit comme un homme qui cultive ce qu’il a de masculin, mais qui est à l’aise avec des aspects de sa personnalité que certains pourraient considérer comme plus féminins.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Adib Alkhalidey

Je comprends l’instinct de vouloir développer son énergie masculine ; elle est inhérente à la condition masculine. Je pense qu’il faut se souvenir que lorsqu’on est plus jeune, on est obsédé par des choses extrêmes.

Adib Alkhalidey

« Adolescent, j’écoutais l’album le plus intense d’Eminem. Je ne pensais pas comme lui, mais il y avait clairement une énergie dans sa manière de transcender sa condition misérable qui me permettait de laisser émerger des émotions », poursuit l’artiste de 36 ans.

Jay Du Temple croit aussi qu’il faut être indulgent avec les jeunes hommes qui se questionnent sur les codes de la masculinité. « L’expérience, ça ne s’achète pas. Mais la jeunesse, ça vient avec une fougue. Plus je vieillis, plus je suis reconnaissant du kid que j’étais, qui ne savait pas grand-chose, qui était moins conscient des choses, mais qui osait. Les jeunes que je rencontre, je les trouve intelligents, au courant, beaucoup plus que moi je l’étais. Et j’ai confiance en eux. »

L’humoriste, comédien et auteur Louis Morissette partage cet optimisme. « Les jeunes sont moins niaiseux qu’on était ! dit l’artiste de 50 ans. Ils sont plus outillés que je l’étais à leur âge. Si on passait plus de temps à les écouter, peut-être qu’on se poserait moins de questions sur ce qu’on devrait faire. »

Ces trois humoristes estiment-ils que les artistes québécois exercent toujours une influence sur les jeunes hommes ? Et que la culture populaire québécoise a encore un impact sur eux ?

Jay Du Temple est à même de constater son attrait auprès d’un jeune public. « Je ne suis pas vieux, mais on m’appelle déjà monsieur ! », dit-il en souriant. S’il a rangé la teinture et le vernis à ongles – « Je ne veux pas devenir une caricature de moi-même » –, il accepte volontiers ce rôle d’influenceur positif qu’on lui prête.

L’humoriste, qui a grandi entouré de femmes – sa mère, ses deux sœurs, sa grand-mère –, n’est pas du genre à livrer de grands discours sur la masculinité, mais il tente de prêcher par l’exemple. Son message aux jeunes hommes est clair : soyez libres, respectueux, mais libres.

« Les jeunes hommes, fondamentalement, se cherchent », croit Louis Morissette, père de trois enfants, dont un fils de 19 ans, Justin, qui assure la première partie de son nouveau spectacle d’humour. « Quand on est jeune, on cherche son identité, on cherche à savoir ce qu’on veut faire dans la vie, on cherche à quoi s’accrocher. On peut être influencé par plein de gens, notamment des artistes. On peut encore influencer positivement des jeunes, dans la mesure où on ne les prend pas pour des cons ! On a un peu tendance à les prendre pour des cons… »

Intéresser les jeunes hommes

Plusieurs – j’en suis – estiment qu’il faudrait en faire davantage pour intéresser les jeunes hommes à d’autres modèles que ceux, de plus en plus populaires, prônés par les Andrew Tate de la manosphère. En rendant par exemple la culture québécoise plus attrayante et invitante pour un garçon de 17 ou 25 ans.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Louis Morissette

Plutôt que d’essayer d’attirer les jeunes vers ce qu’on fait, on devrait faire ce qu’ils aiment.

Louis Morissette

« Mais lorsque je propose à des diffuseurs des contenus qui ressemblent à ce qui se fait ailleurs et qui intéressent mes enfants, c’est une fin de non-recevoir ! poursuit celui qui dirige KOTV, une maison de production spécialisée en télévision. Parce que les projets sont vus et jugés par des gens de 50 et 60 ans, qui décident de ce que les jeunes devraient voir, selon leur morale. Tant et aussi longtemps qu’on va faire ça, on est cuits. »

La télévision québécoise, qui ne veut pas s’aliéner son public le plus fidèle – et de plus en plus vieillissant –, manque d’audace. Les jeunes ne s’y reconnaissent pas et la boudent. Il faudrait produire un contenu destiné exclusivement aux jeunes adultes, croit Louis Morissette. Parce que le menu multigénérationnel qu’on leur offre agit le plus souvent comme un repoussoir de notre culture.

« Il n’est plus moins une, l’heure est peut-être passée, croit-il. Si on continue à ne pas les intéresser, ils vont rester en dehors de l’écosystème et ils vont aller voir ailleurs. Il faut leur faire confiance. Ce n’est pas parce qu’ils regardent Euphoria qu’ils vont tous avoir une sexualité débridée et prendre des drogues dures ! »

À ceux qui, comme moi, s’inquiètent du manque d’impact de la culture populaire québécoise sur les jeunes hommes (à la télévision en particulier, mais pas exclusivement), Adib Alkhalidey répond qu’il ne faut pas sous-estimer l’influence des contenus québécois diffusés ailleurs que dans les médias traditionnels.

« On est loin du design traditionnel de la télévision québécoise sur les réseaux sociaux, mais ça reste des Québécois qui s’expriment et qui sont suivis par beaucoup de Québécois, en particulier les jeunes, rappelle-t-il. Il y a une contre-culture qui s’exprime et qui intègre des éléments de la culture dominante. Il y a un nouvel écosystème qui prend naissance. »

Aussi, Adib Alkhalidey ne croit pas que les jeunes hommes tournent le dos à la culture québécoise. « Je pense qu’ils tournent le dos au manque de courage, à l’absence de risque et d’écoute de la part des gens en position de pouvoir, dit-il. La quête identitaire gagnerait à puiser dans une discussion qui est beaucoup plus ouverte, décomplexée et moins accusatrice. Surtout quand on est jeune, une discussion accusatrice, ça pousse à se réfugier dans des choses moins nuancées. »