Pendant des décennies, les conservateurs du monde entier se donnaient le Parti conservateur britannique comme modèle. Le parti de Winston Churchill et de Margaret Thatcher était l’inspiration de générations de politiciens de droite.

Mais cette glorieuse époque semble en voie de se terminer. Le premier ministre Rishi Sunak – le quatrième chef conservateur en moins de huit ans – a déclenché mercredi des élections générales pour le 4 juillet prochain. Ce qui a surpris un peu tout le monde, les conservateurs étant 20 points derrière l’opposition travailliste dans les sondages. Rien ne l’obligeait à déclencher les élections avant la fin de l’année. Selon toutes les prévisions, les conservateurs se dirigent vers une défaite d’une ampleur historique : ils ont actuellement 344 sièges (sur 650) et pourraient en perdre la moitié tandis que les travaillistes pourraient atteindre les 400 sièges.

Que s’est-il passé pour que les électeurs britanniques veuillent autant changer de gouvernement après 14 ans de régime conservateur ? Ça peut se résumer en un mot : Brexit. Le référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne.

Le chef conservateur de l’époque, David Cameron, avait promis lors des élections de 2015 qui l’ont porté au pouvoir de tenir un référendum sur le Brexit même s’il était personnellement opposé à cette idée. C’était le prix à payer pour maintenir l’unité de son parti, dont beaucoup de membres détestaient l’Union européenne.

Cameron a fait campagne pour l’option du « Remain » (rester) alors qu’un petit groupe de députés menés par Boris Johnson faisaient la campagne du « Leave » (partir). À la surprise générale, les Britanniques ont voté pour le départ de l’UE à 51,9 %. Cameron a démissionné comme premier ministre dès le lendemain.

Et c’est là que ça s’est mis à déraper.

Comme l’a récemment dit une journaliste de l’Economist, une publication pourtant plutôt conservatrice : « Les mauvaises idées, dans un monde idéal, sombrent le plus souvent dans l’insignifiance. Chez les conservateurs britanniques, elles ont de bonnes chances de se retrouver dans le programme du parti. »

La première de ces mauvaises idées était le Brexit lui-même. Ses partisans ont fait campagne en disant que couper les liens avec ses principaux partenaires économiques allait permettre d’épargner des milliards de livres sterling qui pourraient ensuite être réinvestis dans la santé.

Mais cela ne s’est pas produit. Il y a plutôt eu une récession et des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement qui ont beaucoup nui à l’économie du Royaume-Uni, en particulier à celle de Londres, qui était le centre financier de l’Europe.

La première ministre Theresa May, qui a succédé à David Cameron, a eu beaucoup de difficulté à faire accepter la stratégie de son gouvernement dans les complexes négociations entourant le Brexit. Elle était dans la position difficile de devoir livrer le retrait de l’Union européenne alors qu’elle était contre. Elle était liée par le résultat du référendum.

Battue trois fois lors de votes à la Chambre des communes et devant un parti profondément divisé sur cette question, elle a fini par démissionner sans avoir réussi à terminer son mandat.

Son successeur a vite été trouvé : Boris Johnson, qui avait été le leader informel de la campagne du « Leave » au référendum sur le Brexit. Populaire, mais avec une réputation de n’être pas d’un grand sérieux, il a reçu les deux tiers des voix des membres du Parti conservateur. Il a ensuite remporté une victoire éclatante lors des élections de décembre 2019. Quelques mois plus tard, le gouvernement entrait en mode « pandémie », ce qui a marqué ses trois années au pouvoir. Mais le premier ministre a été forcé de démissionner après une série de scandales, petits et grands, qui ont miné son autorité, et en raison d’une sorte d’indécision permanente dans sa gestion de la pandémie.

Il a été remplacé par Liz Truss, qui n’a été au pouvoir que 44 jours, le mandat le plus court de l’histoire moderne. Le temps de faire un budget ultraconservateur qui a réduit les impôts des plus riches, mais a surtout fait chuter les marchés et la livre !

Est ensuite arrivé Rishi Sunak, dont la grande contribution a été de faire passer une loi permettant d’envoyer au Rwanda – moyennant rétribution – les gens qui faisaient une demande de statut de réfugié au Royaume-Uni. La loi a été contestée, en partie parce qu’il était impossible de considérer le Rwanda comme un pays sûr, comme l’a confirmé la Cour suprême britannique.

Qu’à cela ne tienne, M. Sunak a fait adopter une loi décrétant que le Rwanda était sûr, ce qui oblige les fonctionnaires à faire les transferts sans égard à l’avis des tribunaux.

Pour les Canadiens, les élections britanniques seront surtout intéressantes parce que M. Sunak, comme Justin Trudeau, est 20 points derrière ses adversaires. Il n’est pas au pouvoir depuis une décennie, mais il porte le lourd bagage des gaffes accumulées au cours des 14 ans de régime conservateur, d’une économie chancelante et d’un chef de l’opposition plus populaire que lui.

Est-il possible de gagner un tel pari ? Réponse le 4 juillet.

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