L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde

Dans les rues de Verdun, il y a quelques jours. De l’Église, Galt, Gordon, Rielle... Une voiture du SPVM commence à me suivre rue Verdun. J’avance, 4e Avenue, 5e Avenue, je tourne à droite sur la 6e, à droite tout de suite après sur Bannantyne, puis à gauche encore sur la 6e. Rendu au bout, coin Champlain, les gyrophares s’allument et on m’arrête.

J’y étais pour des funérailles. Une grand-tante, côté paternel. La quatorzième et dernière de sa famille, morte à presque 98 ans. Église Notre-Dame-de-Lourdes. On était une quarantaine. Avant la cérémonie on se salue, on jase un peu. Une tante, de lointains grands-cousins et grandes-cousines. On me remercie d’être là, de m’être déplacé. Étrangement, les gens croient qu’être artiste ou avoir une existence un peu publique vient avec une sorte d’impunité face aux humanités.

Les deux policières sortent de leur véhicule.

« Bonjour, je vous intercepte parce que vous ne semblez pas venir du coin, votre conduite était hésitante. »

Dans la réalité, pour ceux qui l’ignorent, les voitures des forces de l’ordre sont munies d’une caméra qui lit et identifie les plaques d’immatriculation à distance. Elles savaient déjà que ma voiture était immatriculée dans un autre quartier de Montréal. Peut-être me croyait-elle en boisson ?

« Vous faites quoi ici ?

— J’arrive de funérailles.

– Mes condoléances. » Elle a fait une courte pause, et demandé : « Je peux voir votre permis de conduire ? »

D’abord, pas pire, je me suis dit. Elle a dit « condoléances » et non pas « mes sympathies ». Ça part bien notre relation.

J’imagine qu’à l’école de police, on forme les policiers et policières à développer une sorte d’instinct ou à faire confiance à leur intuition. Paraît que ma conduite était un peu timide. Une raison comme une autre, je me suis dit.

Et à la suite de notre brève conversation, elles ont certainement dû conclure que, comme je venais d’ailleurs, je cherchais mon chemin, me fiant à un GPS. La réalité est ailleurs. J’étais loin d’être perdu.

Après la cérémonie, on me disait encore merci de m’être déplacé pour la cérémonie de cette grand-tante qui avait justement habité rue Woodland, à Verdun, toute sa vie, et que j’avais à peine fréquentée, quoique certainement une dizaine de fois dans des réunions de famille élargie et à un ou deux Noëls chez mes parents. J’écoutais les gens, mais à l’intérieur, en silence, c’était facile. Une seule et belle raison m’aurait fait revenir de l’autre bout du monde ou d’une autre planète. Il y a 20 ans, l’amoureuse, à l’époque, avait eu un grave accident de voiture, les jambes broyées, tandis qu’elle était enceinte. Tante Réjeane, coiffeuse de métier, apprenant la nouvelle, était venue à l’hôpital les jours suivants pour lui laver les cheveux lors de sa convalescence. Des gestes lents et si doux. De générosité et de bienveillance. Si simples. Dans un des témoignages, lors de la cérémonie, on a fait mention de cette histoire. Je ne me souviens pas l’avoir remerciée de son vivant. Con que je suis. J’ai dit merci à sa photo et à l’urne, posées au bout de l’allée, dans ce silence creux en soi. Et j’ai raconté l’histoire à sa fille qui ne parlait que l’anglais.

Après vérification, la policière m’a redonné mon permis de conduire et m’a souhaité une bonne journée. Je lui ai demandé :

« Mettons que je ne tourne pas tout de suite à gauche, parce que ce serait une infraction de couper la voie de l’intersection, mais que je tourne à droite ici, pis que je zigonne un peu dans les rues pour retrouver mon chemin, puis l’autoroute, vous n’allez pas m’arrêter une autre fois, hein ?

— Bin non. »

Et elle a souri. Vous jure. Ce sera ça d’arraché au quotidien.

Je ne lui ai pas dit que je connaissais les rues, les ruelles et les recoins de Verdun comme le fond de ma poche. J’ai été livreur à vélo au Marché A&T Pilon, été comme hiver, durant trois ans quand j’avais 15 ans, au coin de Church et Claude. Je n’étais pas désorienté, au contraire. Un moment de grande lucidité.

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