En toute logique, la ministre Geneviève Guilbault voudra faire changer le nom de son ministère des Transports et de la Mobilité durable pour reprendre son ancien nom de ministère de la Voirie.

Après tout, selon la ministre, l’État a pour mission de « gérer les routes » et pas les transports en commun. Sauf que personne ne lui demande de décider de l’emplacement des arrêts d’autobus. Et si le gouvernement du Québec a des responsabilités comme l’environnement, la mobilité et l’aménagement du territoire, il ne peut pas s’occuper que de l’asphalte.

En fait, on ne devrait pas être surpris de l’intervention de la ministre. Parce qu’actuellement, la seule vision à long terme du gouvernement semble être de créer une agence des transports, sans doute sur le modèle de Santé Québec, avec son propre top gun pour tous les dossiers chauds.

Ce qui semble évident, c’est que la nouvelle agence n’aura pas comme priorité de revoir en profondeur le système de financement du transport collectif, qui n’est plus viable et qui le sera de moins en moins au cours des prochaines années.

En fait, les sociétés de transport doivent vivre avec trois crises qui ont de très différentes origines, mais qui ont toutes un effet combiné très néfaste sur leurs finances.

La première est une conséquence de la pandémie qui a causé une baisse de la fréquentation qui perdure et qui n’est pas en voie de se résorber dans un avenir prévisible. Pour dire ça simplement, le télétravail est là pour de bon. Dans plusieurs secteurs d’activité, un retour quotidien sur les lieux traditionnels de travail n’est tout simplement plus dans les cartes. On ne peut pas faire comme si cela n’existait pas. Il faut s’ajuster.

Si le financement du transport collectif ne tient pas compte de ce qui est un fait de société, on va inévitablement sombrer dans ce que certains politiciens ont appelé cette semaine une « spirale de la mort » : moins d’achalandage, donc moins de revenus, donc des réductions de services et encore moins d’achalandage.

Le deuxième défi est particulier à la grande région de Montréal et c’est la mise en service du REM. Selon la Ville de Montréal, en 2027, « la facture du REM sera financée à hauteur de 120 millions de dollars par les revenus tarifaires d’usagers utilisant précédemment d’autres modes de transport collectif ».

Autrement dit, le REM va cannibaliser les revenus des sociétés de transport. Ce n’est pas étonnant, la loi prévoit que les réseaux existants d’autobus doivent obligatoirement se rabattre vers le REM. Par exemple, il n’y a plus d’autobus qui circulent sur le pont Samuel-De Champlain, tout doit être rabattu vers les stations du REM. Même si certains circuits d’autobus seraient plus rapides ou plus pratiques pour beaucoup d’usagers.

Le REM se trouve à être en concurrence plutôt qu’en complémentarité avec les réseaux actuels de transport collectif.

Cette situation ne fait qu’empirer la spirale de la mort dont on parlait plus tôt. Le REM devrait être un ajout à l’offre de transport collectif. Il est plutôt devenu un concurrent des autres modes de transport⁠1.

Le gouvernement de la CAQ devrait d’ailleurs n’avoir aucun scrupule à revoir les privilèges qui ont été accordés au REM et à CDPQ Infra et qui sont clairement exorbitants. L’erreur politique a été celle de Philippe Couillard qui voyait le REM comme son legs et qui a donné à la Caisse de dépôt et placement absolument tout ce qu’elle exigeait.

Notons aussi l’aspect social de la question : le REM (actuel et en construction) dessert essentiellement les beaux quartiers de la Rive-Sud et de l’ouest de l’île de Montréal. Et pour financer le REM, les sociétés de transport seront possiblement forcées de réduire les services, souvent dans les quartiers moins favorisés.

Enfin, il y a la question de l’insécurité, en particulier dans le métro de Montréal. On ne compte plus les évènements violents et même armés, l’usage illégal de gaz poivre ou d’autres irritants. L’itinérance exige désormais de consacrer des sommes de plus en plus importantes pour assurer la sécurité dans le métro.

Pour un organisme qui a relativement peu de ressources comme la Société de transport de Montréal, c’est une pression considérable, autant sur les finances que sur le personnel. Sans oublier que l’insécurité a un effet sur la fréquentation.

Devant autant de défis, on aurait pu s’attendre à ce que la ministre des Transports et de la Mobilité durable ait une oreille sinon sympathique, au moins attentive, aux difficultés actuelles des sociétés de transport collectif.

En lieu et place, elles auront eu droit à une leçon de petite politique de la part d’un gouvernement qui traverse une passe difficile et qui ressent un urgent besoin de reconnecter avec sa base politique.

Ce sera donc les banlieues plutôt que les villes centres, les automobilistes plutôt que les usagers du transport collectif, le gouvernement plutôt que les maires. Bref, la voirie plutôt que la mobilité durable.

1. Lisez la chronique « Se débarrasser du cannibale » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue