Le Québec a trop de géographie et pas assez d’électeurs. C’est pour cela que l’établissement, tous les 10 ans, d’une nouvelle carte électorale est devenu une mission presque impossible. Le gouvernement et les partis de l’opposition ont donc bien fait de suspendre l’exercice.

Mais si on a recours à cette mesure aussi draconienne qu’exceptionnelle, il faut que l’exercice en vaille la peine. On ne peut pas juste demander à la Commission de la représentation électorale (CRE) de recommencer le même puzzle.

En fait, on demande à la CRE de travailler en tenant compte de deux principes qui peuvent devenir contradictoires : assurer l’égalité du vote et respecter les « communautés naturelles ». On vient de le voir avec le plus récent projet de carte électorale, il est devenu difficile de faire les deux en même temps.

Mais, en plus de ces deux critères prévus par la loi québécoise, il faut tenir compte du principe de « représentation effective » des électeurs établi par la Cour suprême du Canada en 1991. Il faut donc aussi tenir compte de concepts comme la « communauté d’intérêts » et la « spécificité » des communautés, même s’il faut pour cela en arriver à un peu moins de parité entre les circonscriptions, disait la Cour.

Il faut également que la taille de la circonscription reste gérable pour un député. Sinon on aura des circonscriptions tellement grandes qu’elles ne pourront être représentées efficacement par un seul député. Parlez-en à Pascal Bérubé, l’indélogeable représentant de ce qui s’appelle aujourd’hui Matane-Matapédia.

Dans la nouvelle mouture de la carte électorale, sa circonscription serait à cheval sur deux régions administratives (le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie) et son étendue obligerait le député à avoir quatre bureaux de circonscription et à parcourir régulièrement des centaines de kilomètres. Il avait bien raison de dire que sur les routes de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent en hiver, le député mettait sa vie en danger.

La loi actuelle contient déjà des pistes de solution. En particulier, elle permet déjà une exception pour les Îles-de-la-Madeleine, où il n’y a qu’un peu plus de 11 000 électeurs inscrits, alors que le nombre idéal est de 50 694 par circonscription.

D’autres exceptions, bien précises, pourraient aussi être envisagées. La Gaspésie mérite certainement de profiter d’une telle exception. Et on peut en considérer quelques autres. Ainsi, on a souvent évoqué la possibilité de créer une circonscription qui aurait une majorité d’électeurs autochtones dans les communautés du nord du Québec et de la Baie-James. Ce devait être considéré.

Chose certaine, avec un territoire si grand à couvrir, un petit nombre d’exceptions bien délimitées serait certainement acceptable pour la majorité des Québécois. Le précédent existe. Il faut s’assurer de ne pas multiplier les exceptions, mais ajouter deux ou trois sièges à l’Assemblée nationale ne devrait pas poser problème.

Par contre, il faudrait résister à la tentation d’étendre encore plus l’autre critère qui est prévu dans la loi, soit la variation permise du nombre d’électeurs. Avec un nombre idéal de quelque 51 000 électeurs par circonscription, la loi permet une variation de plus ou moins 25 %, ce qui est déjà beaucoup.

Ainsi, dans la nouvelle carte électorale, le vote d’un citoyen de la circonscription de René-Lévesque, sur la Côte-Nord (32 540 électeurs), continuera d’avoir environ le double du poids de celui d’Arthabaska, dans le Centre-du-Québec (62 120 électeurs). Dans les circonstances, il ne serait pas étonnant de voir des citoyens saisir les tribunaux pour contester des inégalités aussi flagrantes.

Juste sur l’île de Montréal, il y a des circonscriptions comme Nelligan qui auront 57 537 électeurs contre 40 527 dans Pointe-aux-Trembles. C’est un écart considérable pour une même zone urbaine.

Lors de son point de presse de jeudi, le ministre responsable des Institutions démocratiques, Jean-François Roberge, disait que la Commission de la réforme électorale avait les mains liées par la loi actuelle. Il a raison. On doit aussi tenir compte d’autres critères.

Le premier ministre François Legault a déjà indiqué que la taille du territoire de certaines circonscriptions devait être un critère en plus du nombre d’électeurs. Il a raison.

Il faut – comme le demande le monde municipal, qui devra nécessairement être partie prenante de ce nouvel exercice – que les nouvelles circonscriptions tiennent compte des frontières existantes. On ne peut décemment demander à un député de représenter plus d’une région administrative ou juste une partie d’une MRC.

Il faut aussi donner aux députés de circonscriptions plus étendues les moyens de faire leur travail, en particulier en leur donnant les budgets qui leur permettent d’avoir plus d’un bureau de circonscription, puisqu’il s’agit essentiellement de points de service pour les citoyens.

Bref, l’Assemblée nationale se prépare à un travail dont l’envergure va très largement dépasser le seul établissement de la nouvelle carte électorale en vue des élections de 2030. Heureusement, le caractère non partisan de l’annonce de cette semaine est de très bon augure.

Qu’en pensez-vous ? Exprimez votre opinion