L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde.

Printemps maniaco-dépressif. Vite du chocolat et de la tire pour s’en remettre. C’était presque l’été durant quelques jours, puis l’hiver est revenu. Là, c’est encore le printemps. Coulent-coulent pas, les érables arriveront bien à s’enfeuiller comme chaque année, on le sait bien. Les choses, malgré les apparences, sont parfois bien faites, vont et viennent avec leur vérité.

Fin mars, sur fond de ciel bleu clair, les avions laissent des traces blanches et les oies qui reviennent jappent en vol. Bientôt, les incendies de forêt réapparaîtront comme des oracles, raconter l’avenir.

Après deux jours de bourrasques et de rafales la semaine dernière, j’ai dû refaire le tour des chaudières pour ramasser les couvercles arrachés par les vents. Une partie des entailles borde la rivière L’Acadie. Rivière qui n’a pas gelé cette année, ou si peu, à peine sur les bords. C’est au bout de cette forêt derrière la maison qu’elle prend naissance, alimentée par quelques ruisseaux agricoles et d’autres, naturels, qui se rejoignent et qui cet hiver n’ont pas gelé, eux non plus. Elle va ensuite se jeter dans le Richelieu, qui s’en va au fleuve. En faisant cette ronde de ramassage de couvercles, par -10, j’ai enjambé des cours d’eau vive avec intérêt ! Plusieurs milliers de personnes se sont levées au petit matin pour en faire cueillette et provision.

Selon une tradition (davantage populaire que religieuse), le dimanche de Pâques, on ramasse cette eau avant le lever du soleil, car elle aurait des propriétés magiques : protéger les maisons contre la foudre, aider la vue, guérir l’eczéma, la diarrhée, la fièvre, l’arthrose, et mille autres vertus curatives. Elle donne de la force, ralentit le vieillissement, aide à la séduction, et il paraît qu’elle éloigne aussi les malheurs et les mauvais esprits. Tiens, tiens… des promesses qui sauraient bien aider un jour ou l’autre. On n’est jamais trop prudent.

J’ai rencontré plusieurs personnes, entre il y a longtemps et aujourd’hui, qui jurent sur la tête de leur mère avoir été guéries par des glandes ou de l’huile de castor, de la bile d’ours, en gravissant les marches de l’Oratoire à genoux, par de l’huile sainte, en lisant leur horoscope, ou encore en invoquant le Ciel ou un fantôme proche. Et si parfois y croire suffisait ? Ou du moins, faire la moitié du chemin en espérant ?

Quelques précautions sont de mise : s’assurer de ramasser l’eau avant l’aube, dans un cours d’eau courante et non stagnante. Et à contresens, sinon elle pourrait se corrompre, dit-on. C’est donc avec un 5 gallons que je me serai aventuré dans la noirceur d’une fin de nuit. Et, dans un élan de charité infinie, j’aurai puisé et rempli la chaudière au ras bord, l’aurai sortie au complet du ruisseau (pour qu’elle soit officielle) pour ensuite remettre l’eau enchantée dans le même cours d’eau. J’ignore la posologie exacte, mais ainsi – me suis dit –, tous les riverains entre la frontière américaine et Sorel et son aval (c’est là que le Richelieu rejoint le Saint-Laurent) et jusqu’à l’Atlantique vont bénéficier de l’enchantement. C’est de la bonté divine, ça, madame. Désolé pour tous ceux en amont de Sorel. On trouvera bien une façon de vous inclure pour un beau futur.

Au vu des actualités et de l’air ambiant, peut-on encore croire que la science, le progrès et autres avancées dont on est si fier auront amélioré l’état du monde et les conditions de vie humaine ? Aucun cynisme ici. On trouve que toute la patente moderne manque d’envoûtement et de merveilleux ces jours-ci. On semble avoir un peu oublié l’idée de la morale dans le progrès, et ça ressemble parfois, trop souvent, à ce qu’on raconte depuis la nuit des temps sur notre nature. L’environnement, les outils, les communications, la recherche, les vaccins, les banques centrales qui contrôlent l’évangile de la croissance essentielle de l’économie, tout ça est bien beau, mais les principes de base de notre conscience ressemblent encore et toujours à un passé préhistorique ; ceux d’une conscience, justement, aux valeurs variables, pour son profit. L’époque manque cruellement de féérie. Et d’imagination.

On est bien conscient qu’on est loin de la science ici. Mais une proposition sérieuse : que chaque printemps, on nolise les CL-415 (avions-citernes de la SOPFEU) avant les incendies d’été pour ramasser et asperger le monde entier avec de l’eau de Pâques. Et à défaut d’être entendu ou pris au sérieux, j’irai boire et manger mes émotions en volant le chocolat aux enfants, parce qu’il n’y a plus de neige pour faire de la tire. Aucune intention de déguster, mais bien de me bourrer la face. On est un peu responsable de ses miracles. Joyeuses Pâques, même aux impies.

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