Printemps étrange. Peu ou pas de neige au sol. Comme une reprise de l’automne. Mais il y a la lumière et les oiseaux pour nous rappeler qu’on avance. C’est la saison des sucres, mais aussi celle des échardes sur les mains à cause du bois et de l’évaporateur.

Mais avant.

En rentrant à l’hôtel, j’ai taché le carrelage blanc de la salle de bains avec du noir. Il arrive souvent que mes vêtements ou chaussures soient ruinés avec de la peinture. Pas cette fois. Ma galeriste m’avait averti : si tu vas marcher sur la plage, fais attention au pétrole. À Venice Beach (j’ai passé la semaine à Los Angeles, belle ville étourdissante, pour des patentes d’artiste), il est fréquent de marcher sur des billes de goudron à la plage, paraît-il.

À la télé – CNN étonnamment, pas Fox –, on répète en boucle que la résistance du Congrès américain à débloquer 60 milliards pour l’Ukraine vient du fait que de plus en plus de gens, élus et électeurs (le monde ne tenant apparemment qu’à ces deux fils), croient que la cause est perdue. Il y a deux ans, avec une aide de promesses idéologiques infinies et des sanctions, on croyait, dans l’absolu, que l’on viendrait à bout de cette dictature et de cette invasion insensée. Mauvais film. Alors qu’on a justement célébré les Oscars ici ; une fête universelle de bling-bling annuelle, peut-être un peu, beaucoup pour fuir la réalité derrière ?

Le fond de l’affaire ne ressemble en rien aux vitrines. Peut-être a-t-on avantage à croire davantage aux façades qu’aux coulisses ? Pour avoir des likes et prétendre que tout va pour le mieux. « Fake it ’til you make it », on dit.

On m’a promené en ville. Magnifique, cela dit. Immense. Avec un souci d’architecture résidentielle qui ne semble pas avoir d’équivalent ailleurs dans le monde. Très peu de voitures électriques, par contre, pour cet État démocrate qui votera Biden en novembre. Mais toutes les personnes à qui j’ai parlé – démocrates évidemment (en art, c’est un pléonasme) – ont raconté en avoir assez de l’ambiance « trop de gauche » de l’heure.

Leurs votes seront réactionnaires. Un peu, beaucoup à cause des extrêmes dans l’air du temps. Ces votes s’ajouteront aux votes de ceux qui défendent le candidat Trump. Et cette réaction fera pencher la balance. On avance, on recule. Le républicain retournera fort probablement à la Maison-Blanche.

On m’a aussi dit que c’était une affaire de médias. « Il y a davantage d’Américains qui se foutent des élections et de la présidence que d’Américains qui votent. » Ils ont un peu raison. C’est, pour beaucoup, une névrose médiatique depuis 2016. Avec quelques réelles conséquences ici et là. Rien de rassurant, soit, mais les écarts et les problèmes sociaux ne se régleront sous aucun parti ni candidat. Hé, hé… Pas plus qu’une usine de batteries sans étude environnementale ne sauvera le monde (tsé, quand il mouille sur ta parade !).

Sur Rodeo Drive, à Beverly Hills, des dizaines, sinon des centaines d’influenceuses se prennent en selfie devant les vitrines des Balenciaga, Vera Wang, Hermès… On m’y a aussi amené parce que je voulais acheter un truc chez Goyard, la plus chic des chics places à sacs à main au monde, à des prix vulgaires et indécents. Des boutiques alignées avec des palmiers géants, qui ne servent à rien. Sinon qu’à décorer et être emblématiques. Mise au point : ce n’est pas vrai que j’allais chez Goyard pour acheter un sac, je ne suis même pas sorti de la voiture.

Et même si parfois, dans cette vie d’artiste, je participe à ces écarts, j’ai plutôt demandé à mes hôtes de m’emmener dans Skid Row, le quartier le plus trash de la ville. Rien pour Instagram ou TikTok à cet endroit. Personne n’en parle.

Des milliers d’hommes et de femmes qui vivent dans la rue, dans des milliers de tentes improvisées sur le trottoir et les terrains vacants. Des hommes zombies dont toute la vie tient dans un sac poubelle ou en plastique transparent de dépanneur. Ils sont plus de 75 000, selon les chiffres officiels. À l’ombre des palmiers, cet arbre stupide qui ne fait pas d’ombre.

Et puis un rêve la nuit dernière. Celui d’entailler les palmiers inutiles pour en faire une crème merveilleuse pour mes mains sèches et leurs échardes. À un prix juste assez exorbitant pour y croire, c’est entendu.

Cette Amérique n’est pas seulement maniaco-dépressive comme on se plaît à la voir, et qui nous définit. Il y a aussi ce troisième espace, immense, entre les extrêmes de soi que l’on peine à comprendre.

Il est temps de rentrer et de faire du sucre.

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