La mairesse de Gatineau démissionne avant la fin de son premier mandat, épuisée. D’autres sont aussi parties en plein mandat. Plusieurs mairesses ont exprimé leur solidarité. Et à l’hôtel de ville de Québec, on se bat à coup de chest. Y aurait-il trop de testostérone dans nos hôtels de ville ?

Sans doute, mais en restant dans mes champs d’expertise, on me permettra une autre question : nos conseils municipaux sont-ils devenus inutilement partisans ?

Un peu d’histoire s’impose. Il fut un temps où les maires agissaient en rois (il y avait très peu de femmes) et maîtres sur leur ville et leur conseil municipal.

Au temps où Jean Drapeau régnait à Montréal, il n’y avait pratiquement pas de conseillers municipaux qui n’étaient pas de son parti. Un budget de plusieurs centaines de millions de dollars pouvait être adopté aussi rapidement que le fait de dire : « Adopté ? Adopté ! »

PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Drapeau en 1970

En 1974, arrivent les premiers conseillers d’un parti de l’opposition, le Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM). Drapeau ne change guère ses pratiques, mais après les élections provinciales de 1976, le gouvernement du Parti québécois n’a pas d’atomes crochus avec un maire affaibli par les scandales olympiques.

Le gouvernement Lévesque lance donc une opération démocratie municipale qui vise Montréal, mais s’étendra avec le temps à toutes les grandes et moyennes villes du Québec. Depuis 1978, toutes les villes de plus de 5000 habitants doivent donc se plier à une loi encadrant les partis politiques municipaux qui deviennent pratiquement obligatoires dans toutes les grandes villes du Québec.

S’il y a des partis politiques, il est inévitable que certains se retrouvent dans l’opposition, avec des droits et privilèges et, avec le temps, avec des budgets de recherche, comme à l’Assemblée nationale.

Mais en imposant à la démocratie municipale le système parlementaire britannique, a-t-on vraiment aidé la démocratie ? Est-ce que des villes comme Saint-Jérôme ou Saint-Hyacinthe ont besoin d’une sorte de parlement municipal, au même titre que Montréal ou Québec ?

Le plus souvent, dans les villes, les partis politiques vivent et meurent avec les élections municipales où ils se présentent comme « l’équipe (insérez ici le nom du candidat à la mairie) » contre une autre équipe du nom du maire sortant. On ne parle pas ici de partis structurés comme le PLQ, le PQ ou le NPD.

Quand un candidat à la mairie – et donc le chef du parti – est battu, les élus de son équipe se retrouvent souvent orphelins et se réfugient trop facilement dans une sorte d’opposition systématique.

C’est, en partie, parce que le fonctionnement du conseil municipal est calqué de trop près sur celui de l’Assemblée nationale, avec des périodes de questions pour les conseillers de l’opposition, des réunions de caucus et un financement partiel des partis par l’État. Mais il y a aussi du financement dit « populaire » sur la scène municipale, et on a vu à la commission Charbonneau à quel point il y a eu des abus à cet égard.

Sur le plan du fonctionnement de la ville, comme les partis municipaux ont voulu montrer qu’ils prenaient leur rôle au sérieux, on applique l’un des principes de la démocratie parlementaire telle qu’on la pratique à Westminster, où sévit toujours le vieil adage : « The duty of an Opposition is to oppose » (le devoir d’une opposition est de s’opposer). Il y a donc des conseillers municipaux qui considèrent qu’ils sont payés à temps plein pour s’opposer.

Le problème, c’est qu’au lieu de promouvoir la recherche du consensus, on privilégie trop souvent l’affrontement. Or, au municipal bien plus qu’ailleurs, un grand nombre de projets devraient faire l’objet de consensus, avec des conseillers municipaux qui essaient de les améliorer plutôt que de s’y opposer systématiquement.

Cela conduit trop souvent à des débats qui deviennent inutilement acrimonieux et où les attaques personnelles tiennent lieu de programme politique. C’est alors que le discours de l’opposition devient facilement de l’intimidation. On l’a constaté, hélas ! de plus en plus souvent au cours des dernières années.

Et devant le spectacle d’élus qui donnent le mauvais exemple, il est inévitable que des citoyens insatisfaits ne traitent plus leurs dirigeants municipaux avec un minimum de respect.

En Ontario, les partis politiques municipaux n’existent pas et ce sont les partis provinciaux (conservateurs, libéraux et néo-démocrates) qui présentent des candidats. Mais après les élections, les groupes politiques municipaux ne sont pas reconnus. Ce qui oblige tout le conseil à travailler ensemble. Ce n’est pas toujours le cas – la politique reste la politique –, mais voilà un système politique bien moins toxique qu’au Québec.

On dit souvent que « trop d’impôt tue l’impôt ». Mais aujourd’hui, est-ce que « trop de démocratie municipale est en train de tuer la démocratie municipale » ?

Sans abandonner l’esprit généreux des réformes démocratiques instituées au niveau municipal au cours des années 1970, il serait peut-être opportun d’examiner si elles ont eu les effets souhaités.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue