Je vais vous faire une confidence : ça va bien à Longueuil. Je suis heureuse dans mes fonctions de mairesse. J’ai une équipe formidable autour de moi, des proches de confiance sur qui je peux compter, jour après jour. C’est ce que je réponds aux personnes, nombreuses, qui m’interpellent avec bienveillance pour me demander des nouvelles depuis mon élection, en novembre 2021. Parce qu’on entend que tout va mal, tout le temps.

C’est la voix que j’ai envie d’exprimer d’entrée de jeu, aujourd’hui. La politique est un monde difficile, certes (comme le sont aussi bien d’autres milieux professionnels, par ailleurs), mais c’est surtout un puissant outil de changement social, noble et stimulant, qui donne un sens à l’action de celles et ceux qui la pratiquent.

Est-ce que les commentaires hargneux sont agréables à recevoir sur les réseaux sociaux ? Bien sûr que non. Est-ce qu’il est ardu de faire face à des menaces de citoyens agressifs ? Bien sûr que oui. Sous protection policière depuis septembre, je suis bien placée pour en parler.

Cela étant dit, la solidarité et la sollicitude dont la grande majorité de la population fait preuve dépassent largement ces comportements déplorables et ces attitudes inacceptables. Je me considère personnellement privilégiée de recevoir autant de reconnaissance dans le cadre de mon travail. Je suis consciente que n’étant pas dans l’œil public, la plupart des gens n’ont pas cette chance, peu importe à quel point ils travaillent fort, ou font la différence, trop souvent dans l’ombre.

La semaine dernière, mon homologue de Gatineau, France Bélisle, a annoncé sa démission. Je ne ferai pas référence à son cas particulier, comme elle a choisi de se retirer de l’arène politique. Sa décision m’inspire néanmoins le respect. J’éprouve énormément d’empathie pour elle, ainsi que pour les quelque 800 autres élus municipaux qui ont pris le même chemin depuis les dernières élections. Chaque départ est une perte pour le service public et la somme d’entre eux devrait effectivement commander une réflexion collective.

Je suis d’accord avec France lorsqu’elle affirme que l’environnement dans lequel s’exerce la politique doit changer. Au premier chef, c’est nous-mêmes, les élus, qui devrions incarner ces changements.

Avant de regarder ailleurs, il convient de donner l’exemple. Il n’est pas normal de constater les climats toxiques d’intimidation qui peuvent régner dans les hôtels de ville… et dans nos parlements.

La question qu’il convient de poser est la suivante : de quelle façon ces escalades sont-elles alimentées ?

À voir l’état critique de plusieurs conseils municipaux à travers le Québec où siègent exclusivement des indépendants, la partisanerie à outrance n’est manifestement pas propre aux partis politiques. Et, a contrario, on peut très bien œuvrer au sein d’un parti sans s’employer à démoniser ses vis-à-vis. Nous en faisons la démonstration à Longueuil.

Dès la campagne électorale, mon équipe et moi avons voulu avoir une approche résolument positive. Aucune critique, aucune attaque, parce que je suis convaincue que fondamentalement, ça devrait être ça, la politique : proposer une vision emballante et nous concentrer sur ce que nous avons à offrir, sans diminuer celle des autres. Faire confiance à l’intelligence collective.

Depuis l’élection, bien que la situation soit assez exceptionnelle avec un seul conseiller siégeant officiellement dans l’opposition, nous adoptons la même posture de collaboration. Concrètement, nous avons par exemple rendu disponible la totalité des documents d’instance de manière transparente, en favorisant l’accès et la circulation de l’information pour l’ensemble des conseillères et des conseillers démocratiquement élus par la population.

Nous œuvrons également avec ouverture au conseil d’agglomération, au sein duquel Longueuil, comme ville centre, est systématiquement minoritaire parmi les villes liées.

Au-delà du nécessaire changement de culture politique, reconnaissons que des balises plus claires et des processus unifiés parmi les municipalités seraient plus que bienvenus dans les situations de conflit, que ce soit avec des citoyens, avec l’administration ou carrément entre élus.

Déjà, nous avons fait du progrès grâce aux démarches effectuées par les unions municipales que sont l’Union des municipalités du Québec et la Fédération québécoise des municipalités, qui ont obtenu une assurance juridique pour les élus et qui sont en voie d’obtenir du gouvernement du Québec l’accès élargi à un programme de soutien psychologique au sein des villes, programme généralement déjà accessible aux employés, mais qui exclut encore trop souvent les élus. Il s’agissait d’ailleurs de l’une des revendications de l’ex-mairesse de Chapais, Isabelle Lessard, lors de sa propre démission.

Un fonds permettant la médiation entre parties pourrait aussi faire partie des solutions considérées. Qui plus est, il faudrait urgemment encadrer les recours devant la Commission municipale du Québec, qui sont régulièrement instrumentalisés par des élus voulant nuire à leurs adversaires (ce qui n’est pas sans rappeler les recours portés devant la commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale, à quelques occasions…).

J’estime finalement que la réflexion doit dépasser le monde politique pour atteindre la sphère médiatique. Le texte « Génération Charbonneau »1 publié sous la plume d’Yves Boisvert la semaine dernière abondait dans le sens d’une réflexion qui m’habite depuis maintenant plusieurs années : la disproportion de traitement à laquelle se butent certaines fautes, humaines et parfois bien inoffensives (du registre de la pudibonderie, disait Boisvert), commises par les élus, directement ou indirectement, par imputabilité.

Le droit à l’erreur a disparu au profit de la guerre aux clics.

Sans tomber dans la complaisance, admettons minimalement qu’une couverture plus équitable s’impose. Prenons le cas récent de Dominique Ollivier et du souper d’huîtres à Paris à l’époque où elle dirigeait l’Office de consultation publique de Montréal. Le traitement médiatique de cette affaire a-t-il été proportionnel à l’erreur commise… et admise ? Si ce principe prévaut en droit, il devrait aussi pouvoir servir d’introspection au sein de la communauté journalistique.

Chère France, je suis profondément convaincue que les femmes et les hommes politiques peuvent être des modèles de vulnérabilité et d’authenticité. Je crois même précisément que c’est en s’assumant pleinement de cette façon que les choses pourront réellement changer.

1. Lisez la chronique d’Yves Boisvert Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue