Devant l’ampleur des conséquences de la crise du logement sur la santé mentale au Québec, les auteurs s’adressent au premier ministre du Québec, François Legault.

Monsieur le Premier Ministre,

Si nous nous adressons à vous aujourd’hui, ce n’est pas par désespoir, mais bien nourris par l’espoir que vous pouvez faire basculer la situation du logement au Québec. Vous n’êtes pas sans savoir que des dizaines, voire des centaines de milliers de Québécoises et de Québécois sont aujourd’hui mal logés, dans des logements trop chers, souvent insalubres, ou vivent avec la crainte permanente de se retrouver à la rue. Ces situations sont terriblement stressantes et mettent en danger le droit au logement devenu cruellement précaire.

La crise du logement n’est plus à démontrer. Les impacts les plus visibles sont alarmants : recrudescence vertigineuse du nombre de personnes en situation d’itinérance partout au Québec, explosion de la fréquentation des banques alimentaires, incapacité du milieu communautaire et de la santé à répondre à l’explosion des demandes. Certains impacts de cette crise sont toutefois aussi alarmants, bien que moins visibles.

On le sait, le logement est l’un des déterminants les plus importants d’une bonne santé mentale. Ainsi, lorsque ce n’est plus possible de vivre en santé et en sécurité dans un chez-soi stable, les troubles de santé mentale se multiplient et broient des vies.

Ce ne sont pas seulement les banques alimentaires et les refuges de dernier recours qui sont pleins à craquer ; des professionnelles et des professionnels de la santé ont d’ailleurs récemment sonné l’alarme sur l’augmentation de la détresse en lien avec le logement, un phénomène fort inquiétant qui engorge les CLSC, les salles d’urgence et les ailes psychiatriques des hôpitaux⁠1, 2. Dans les ressources alternatives en santé mentale, on constate aussi, de plus en plus, que des personnes, déjà rendues vulnérables par des parcours de vie difficiles et des préjugés qui pèsent lourd, vivent un stress constant en lien avec le logement. Un psychiatre montréalais confiait d’ailleurs récemment que le stresseur principal identifié par les personnes hospitalisées en psychiatrie était, sans surprise, le logement3.

Spéculation et hausses abusives

Une grande partie des locataires perdent leur logement de façon tout à fait injuste, victimes d’une spéculation sans merci qui ne profite au final qu’à une mince frange de la population. D’autres locataires éprouvent de la difficulté à payer des loyers devenus beaucoup trop chers, à la suite de hausses abusives et répétitives. Plusieurs n’ont plus d’autre choix que de vivre dans des taudis ou des motels. Peu importe la situation de crise, le résultat est le même : le fil de la vie est cassé. On parle même de passage à l’acte chez certaines personnes déjà mises à mal par une série d’épreuves.

Le chemin est désormais court jusqu’à la rue, mais il est long et ardu pour en sortir.

Nous savons que vous portez une attention particulière aux coûts des programmes sociaux affectant les contribuables. Or, en plus d’être infiniment coûteuse sur le plan humain et social, l’aggravation des situations d’itinérance s’avère aussi très onéreuse pour l’État québécois. Des mesures législatives appropriées et un financement adéquat des programmes de logements sociaux permettent de réduire de façon importante les coûts associés aux ressources et aux soins requis pour des personnes se retrouvant à la rue. Il est donc plus que justifié de mettre en place urgemment les mesures que nous proposons, soit :

  • un moratoire sur les évictions pour agrandissement, subdivision et changement d’affectation, qui sont devenues des opérations purement spéculatives ;
  • un contrôle et un suivi obligatoire de tous les projets de reprise de logement et d’évacuation pour travaux majeurs, qui, pour le moment, évincent nombre de locataires sans qu’aucune instance ne vérifie si les projets sont légitimes et concrétisés ;
  • des mesures de contrôle obligatoire des loyers, en particulier un plafonnement des loyers et un registre des loyers, pour empêcher les hausses de loyer dépassant l’inflation ;
  • un rehaussement significatif et pérenne des programmes de logements sociaux et communautaires pour répondre à des besoins pressants auxquels le marché privé ne peut faire face, notamment en démarrant la construction de 50 000 nouveaux logements sociaux et communautaires pour les cinq prochaines années.

Ces mesures ne sont pas inédites ; là où elles sont en vigueur, elles ont démontré leur pouvoir de contribuer au bien-être des locataires, tout en permettant au marché privé de se développer sans générer tous les dommages qu’on peut observer.

Elles représentent un puissant levier pour agir pour la santé mentale. Le logement est reconnu comme un important déterminant de celle-ci : notre invitation à intervenir sur la crise du logement est donc aussi une invitation à concrétiser le droit à la santé et à la santé mentale pour toutes et tous.

Il est urgent d’agir. Dans l’espoir que vous entendrez cet appel au secours et cette urgence, nous vous transmettons nos salutations.

* Consultez la liste des cosignataires 1. Lisez l’article du Journal de Montréal « La crise du logement met en péril la santé des Québécois, s’inquiètent des médecins » 2. Lisez l’article « Un logement, c’est devenu un privilège » de Katia Gagnon 3. Lisez l’article « La crise du logement serait la première cause de stress en psychiatrie » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue