Chaque jeudi, nous revenons sur un sujet marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal ou de la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal.

C’est devenu un rituel du printemps : au moment où les beaux jours apparaissent timidement, les prix de l’essence, eux, partent en flèche. Les médias tendent le micro aux automobilistes en train de faire le plein qui, sans surprise, se plaignent de ces hausses déplaisantes et importunes.

Mais ont-elles vraiment de quoi nous surprendre ? Le prix du pétrole a toujours été régi par un marché internationalisé. Ce système opère comme une vaste vente aux enchères, avec un marché en temps réel et un marché à terme. L’équilibre entre l’offre disponible et la demande envisagée détermine le prix. D’autres facteurs jouent aussi un rôle, comme le niveau des stocks conservés par les économies développées pour faire face à des imprévus et la capacité d’opération des raffineries.

La santé de l’économie mondiale est directement influencée par le prix du baril, le pétrole étant toujours au cœur de cette économie, notamment en raison du transport des marchandises. Les acteurs du marché vont prendre des décisions sur le prix du baril en se basant sur les prévisions économiques et sur l’évolution des taux d’intérêt qui, à elle seule, peut stimuler ou ralentir l’économie et, par conséquent, la consommation.

Qui tire les ficelles ?

Du côté de la demande, la Chine joue un rôle important, car ce pays a fortement accru sa consommation pétrolière : il importe maintenant plus de 10 millions de barils par jour, soit le double d’il y a une décennie, selon la U.S. Energy Information Administration⁠1. Sa situation économique est un élément d’importance pour le marché pétrolier, car tout ralentissement de l’importante consommation de la Chine entraîne en général un fléchissement des prix.

Pour leur part, les pays producteurs, l’OPEP+ (Organisation des pays exportateurs de pétrole), dont la Russie, restent des intervenants influents. Ce regroupement d’une vingtaine de pays est responsable d’environ 40 % de la production mondiale⁠2 et dispose de près de 80 % des réserves⁠3. L’OPEP+ établit régulièrement des quotas de production pour chaque pays membre.

Au cours des dernières années, l’Arabie saoudite, leader de cette organisation, a su établir plus de discipline dans les rangs : l’OPEP+ a comme politique de limiter sa production, afin de maintenir les prix à un niveau relativement élevé, autour de 80 $ à 90 $ le baril. Pour les États membres de l’OPEP+, ce prix représente un enjeu important, car les revenus tirés de la vente de la ressource pétrolière comptent beaucoup dans les recettes nationales de ces pays.

En fait, la zone de confort des pays de l’OPEP+ est un prix élevé et stable. La stabilité est une valeur cardinale, car elle offre la prévisibilité des recettes pétrolières, permettant ainsi de mieux planifier les dépenses gouvernementales.

Depuis la révolution des gaz de schiste dans les années 2000, grâce à des technologies de fracture hydraulique et de forage horizontal, les États-Unis sont devenus un acteur de premier plan de l’économie pétrolière et gazière mondiale. Depuis 2018, ils trônent au premier rang des producteurs de pétrole, devant l’Arabie saoudite et la Russie.

Il s’agit d’un retournement majeur dans l’industrie : l’arrivée en force des États-Unis a permis une hausse sensible de l’offre de pétrole et une concurrence avec les prix visés par l’OPEP+. L’accroissement de leur production en 2023 et 2024 a permis de rassurer le marché sur toute hausse possible des prix consécutive à une baisse de l’offre.

Le fameux risque géopolitique

Les analystes citent souvent les facteurs géopolitiques comme éléments de risque et de variabilité des prix. Des évènements politiques imprévus attisent la crainte d’une baisse de la demande, qui tend à faire diminuer les prix, donc les revenus. Ils attisent aussi la crainte des ruptures d’approvisionnement, qui, au contraire, amène souvent les prix à des niveaux plus élevés.

Conséquence : le prix va ainsi varier selon l’importance des sursauts politiques dans les pays producteurs, la durée de la crise et la perception de son évolution par le marché.

Ces risques sont réels, car les précieuses ressources pétrolières se trouvent dans des pays plutôt instables politiquement.

La région du Moyen-Orient, avec ses grands producteurs comme l’Arabie saoudite, l’Irak et l’Iran, est responsable de près du tiers de la production mondiale. Or, les crises majeures dans cette région se sont multipliées au cours des dernières décennies (révolution iranienne, guerre Iran-Irak, guerre du Golfe, chute du régime irakien, etc.).

Au Québec, même si nous achetons notre pétrole de pays sûrs comme le Canada et les États-Unis, nous sommes tout de même soumis aux aléas de ce marché mondialisé.

Comme ailleurs, les prix de l’essence augmentent au printemps. À l’approche de l’été, le marché prévoit une hausse de la demande de pétrole raffiné en essence pour les déplacements automobiles.

En général, les prix à la pompe atteignent un pic à la fin de la période estivale, puis redescendent graduellement à l’automne. Mais de cela, personne ne se plaint !

1. Lisez une analyse de la U.S. Energy Information Administration (en anglais) 2. Lisez une analyse de la U.S. Energy Information Administration (en anglais) 3. Consultez des données de l’OPEP (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue