Le 29 avril dernier, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, publiait une lettre1 vantant les mérites du projet de production d’hydrogène vert de TES Canada à Shawinigan. Il souhaitait « recadrer le débat » et applaudissait « les initiatives privées ». Car c’est dans un contexte de fortes tensions sociales associées au projet de TES Canada que M. Fitzgibbon tente de reprendre le contrôle d’une situation qui dérape.

Nous déplorons qu’en l’absence d’une politique énergétique claire issue d’un débat public, des projets comme celui de TES Canada soient présentés à la pièce par le gouvernement, sans examen ni débat publics d’ensemble. À cause de cela, ce sont dans les communautés que se jouent ces débats clivants, dans la confusion, de manière peu structurée, au détriment du tissu social, et avec des élus laissés à eux-mêmes2.

Nous ne pouvons non plus garder le silence face aux propos de M. Fitzgibbon, qui relèvent davantage de la défense d’intérêts privés dignes d’une époque révolue que d’une réflexion bien ancrée dans le réel à propos d’une transition énergétique respectueuse de la population et de l’environnement.

D’autant plus que le ministre prétend que les analyses faites par des universitaires ne sont aucunement valides, et que seules les réponses de la compagnie TES Canada devraient être écoutées.

Car faire fi de la science est une ineptie. Regardons pourquoi.

D’emblée, M. Fitzgibbon défend un projet qui fait pourtant fi d’un consensus établi : la production d’hydrogène vert coûte de 5 à 30 fois plus cher3 que le gaz naturel et entraîne des pertes d’énergie importantes. Dans le cas de la production de gaz synthétique fabriqué à partir de l’hydrogène, le sort réservé aux deux tiers de la production de TES, les pertes sont encore plus importantes : de 57 % à 73 %3.

C’est pourquoi il faut réserver l’hydrogène et le gaz synthétique pour des usages qui sont difficilement électrifiables, surtout dans l’industrie lourde. Or, il est prévu d’injecter le gaz synthétique produit par TES directement dans le réseau d’Énergir. Ce ne seraient donc pas seulement ces industries lourdes qui consommeraient ce gaz, ce serait l’ensemble des consommateurs d’Énergir, incluant les ménages, les commerces et les institutions. Pour chauffer des bâtiments ou cuisiner avec ce gaz hautement inefficace, il faudrait compter sur une quantité d’énergie renouvelable beaucoup plus grande que ce qui est requis par une électrification directe – cela relève clairement des fausses solutions.

De plus, l’injection de ce gaz de « sources renouvelables » dans le réseau semble plutôt servir à justifier le prolongement de la vie des gazoducs qui, selon les objectifs gouvernementaux, distribueront encore 90 % de gaz fossile en 2030.

Enfin, l’usage de l’hydrogène dans le transport lourd est également remis en question par plusieurs experts, puisque là aussi, une électrification directe est beaucoup plus efficace. Le projet de TES n’est donc pas une « contribution essentielle à l’atteinte de nos cibles de décarbonation », comme nous le promet M. Fitzgibbon. Il existe de meilleures solutions.

Ajouter l’insulte à l’injure

Par ailleurs, M. Fitzgibbon affirme qu’aucun financement du gouvernement du Québec n’est prévu, mais il admet du même souffle que des crédits d’impôt du gouvernement fédéral pourront être utilisés. Les coûts de production de l’hydrogène vert et du gaz de synthèse rendront pourtant ces carburants très peu compétitifs4 ; d’importants fonds publics devront inévitablement être injectés pour soutenir le modèle d’affaires ou la consommation de ces produits. Mais ce serait là ajouter l’insulte à l’injure que d’utiliser autant de fonds publics pour soutenir des solutions privées inefficaces.

Finalement, M. Fitzgibbon continue de remettre en question la capacité d’Hydro-Québec à relever les défis actuels en prétextant des marges de manœuvre actuellement faibles, alors qu’​​Hydro-Québec affirme ne pas avoir assez de capacités pour à la fois chauffer le secteur résidentiel et décarboner complètement les institutions (cégeps, écoles, hôpitaux). Pourtant, notre histoire a démontré qu’avec une volonté politique clairement affichée, Hydro-Québec est capable de mener à bien des projets d’envergure.

Surtout, le projet de TES Canada n’est pas en complémentarité avec le secteur public, il s’insère plutôt dans un démantèlement en règle de notre pouvoir d’agir collectif au profit d’intérêts privés.

Ce processus nous apparaît comme étant amorcé avec l’abandon du laboratoire d’essais haute tension5 d’Hydro-Québec au profit d’Hitachi et le retrait du marché de la recharge électrique des voitures6 au profit des stations d’essence.

Ce dont nous avons collectivement besoin, pour faire face au défi de sortir véritablement notre société des énergies fossiles, c’est d’une planification claire qui dépasse la lunette étroite des mégawatts et des dollars. Quels sont les usages à prioriser pour notre précieuse énergie ? Quelles sont les contributions des différentes filières énergétiques à la décarbonation ? Quels sont les culs-de-sac à éviter ?

Nous appelons les Québécois et les Québécoises à ne pas laisser l’enthousiasme des gens d’affaires détourner ainsi le nécessaire débat collectif concernant la transition énergétique pour favoriser leurs propres intérêts au détriment du bien commun. L’avenir énergétique est l’affaire de tout le monde !

* Cosignataires : Émilie Laurin-Dansereau, ACEF du Nord de Montréal ; Bruno Detuncq, Regroupement vigilance énergie Québec (RVEQ) ; Shirley Barnea, Pour le futur Montréal ; Dany Janvier, Contre la privatisation du vent et du soleil dans Mékinac Des Chenaux (RVEQ) ; Jean-Pierre Finet, Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEE) ; Patrick Bonin, Greenpeace Canada ; Mélanie Busby, Mobilisation environnement Ahuntsic-Cartierville (MEAC) ; Ève Duhaime, TerraVie ; André Bélanger, Fondation Rivières ; Jean-Philippe Waaub, Collectif des scientifiques sur les enjeux énergétiques

1. Lisez « TES Canada : un projet nécessaire pour le Québec » 2. Lisez « TES Canada : la MRC de Mékinac interpelle le ministre Fitzgibbon » 3. Lisez « Hydrogen-produced synthetic natural gas (e-gas) – TES Canada case study » (en anglais) 4. Lisez « Une étude met en doute la viabilité commerciale de TES Canada » 5. Lisez « Varennes : Hitachi reprend un laboratoire d’Hydro-Québec » 6. Lisez « Bornes de recharge : Hydro-Québec veut laisser sa place au secteur privé » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue