Brian Mulroney était profondément québécois et profondément fédéraliste. Son pari fut d’emmener avec lui à Ottawa des nationalistes québécois et de donner une place à leurs revendications au sein du gouvernement fédéral. C’est ce qui lui donnera ses plus grandes victoires, mais aussi ses échecs les plus amers.

L’annonce de sa mort a été marquée par de multiples hommages et témoignages, car il y a toujours beaucoup de respect pour Brian Mulroney. La grande majorité des Québécois se souvient de lui comme de celui qui a essayé. Qui a fait le pari de l’ouverture au lieu de toujours mettre le couvercle sur la marmite québécoise, ce que ses successeurs ont négligé ou trouvé trop risqué depuis.

Quand il est devenu chef conservateur en 1983, penser que des nationalistes québécois, des « bleus », s’installeraient sur les banquettes ministérielles à Ottawa était une véritable hérésie. Depuis l’arrivée au pouvoir du Parti québécois en 1976, la chasse aux nationalistes et aux souverainistes (le gouvernement libéral n’a jamais vraiment fait la nuance) était devenue la norme à Ottawa.

Mais Mulroney avait compris que s’il voulait gagner, il devait échapper à ce carcan. Surtout, pour le fédéraliste qu’il était, l’idée que le Québec soit isolé et absent de la table constitutionnelle était carrément inacceptable et cela devait être corrigé.

Brian Mulroney a donc voulu offrir une autre voie aux Québécois. Cela s’est appelé le « beau risque », selon l’expression trouvée par René Lévesque peu avant son départ de la politique.

Le Québec répondra à son appel et donnera aux conservateurs 58 sièges sur 75 en 1984, leur meilleur résultat en presque trois décennies et le fondement d’un gouvernement majoritaire.

C’est en bonne partie parce que, lors de cette campagne électorale, Brian Mulroney avait solennellement promis de rendre la Constitution issue du rapatriement unilatéral de 1982 acceptable au Québec « dans l’honneur et l’enthousiasme ».

Cela devait devenir l’accord du lac Meech, qui n’a jamais été compris dans bien des milieux au Canada anglais, surtout à cause de la reconnaissance du Québec comme « société distincte ».

Des montagnes de désinformation ont été proférées sur ce sujet. Ma « préférée » fut celle de la présidente d’un groupe de défense des droits des femmes du Manitoba, qui a affirmé avec sérieux et conviction devant un comité parlementaire que la « société distincte » allait permettre au gouvernement du Québec « d’obliger les femmes à avoir des enfants ».

Mais n’allons pas trop vite. Avant que ne soit constatée la mort de l’accord du lac Meech, il y a eu les élections fédérales de 1988, qui sont devenues, de facto, un référendum sur l’Accord de libre-échange entre les États-Unis et le Canada.

Un accord qui garantira l’accès à l’immense marché américain pour des milliers de petites et moyennes entreprises canadiennes et dont on peut dire qu’il a beaucoup aidé les PME québécoises. Pour ne rien laisser au hasard, Mulroney organisera une large coalition – qui allait de Robert Bourassa à Bernard Landry, avec l’ensemble du milieu des affaires – en faveur de l’Accord de libre-échange. Encore une fois, le Québec répondra à son appel en lui donnant 63 sièges sur 75, la base d’un nouveau gouvernement majoritaire conservateur.

Mais, rapidement, ce deuxième mandat allait devenir celui des grands échecs.

Tous les efforts de Brian Mulroney n’auront pas permis de sauver l’accord du lac Meech, qui s’est effondré devant l’opposition du premier ministre de Terre-Neuve et d’un député autochtone du Manitoba en 1990.

Non sans que cela ne déchire son caucus québécois. Trop de compromis, selon Lucien Bouchard, qui a démissionné du gouvernement, entraînant avec lui cinq députés conservateurs – et deux libéraux – pour former le Bloc québécois.

En fait, c’est presque un miracle que davantage de députés conservateurs n’aient pas traversé la Chambre pour siéger avec le Bloc. Mulroney a mis toutes ses énergies à garder ses députés, même si beaucoup d’entre eux étaient aussi, sinon plus, nationalistes que ceux qui avaient choisi le Bloc. Un parti qui a pu surfer dès le début sur le charisme de Lucien Bouchard et l’exaspération des Québécois devant l’attitude du reste du pays.

Mulroney allait quand même essayer une autre fois de réformer la Constitution. Cette fois, ce serait non seulement avec les provinces, mais aussi avec la participation des groupes autochtones. Mais le climat n’était plus propice à de telles négociations. La grogne s’était installée partout au pays et l’accord de Charlottetown fut rejeté en 1992 par référendum autant au Québec que dans la plupart des autres provinces… mais pas pour les mêmes raisons.

En politique, la réalité rattrape même les virtuoses. Après huit ans de pouvoir et des politiques controversées mais nécessaires comme la taxe sur les produits et services (TPS), le gouvernement conservateur était devenu usé et M. Mulroney a compris qu’il devait partir, sans quoi il subirait la défaite.

Ironiquement, on peut dire que le plus bel hommage qu’on ait rendu à M. Mulroney sera venu de son successeur, Jean Chrétien, qui n’a jamais déchiré l’Accord de libre-échange ou abandonné la TPS comme il l’avait promis en campagne électorale. Et c’est cette TPS tant décriée qui allait donner au gouvernement libéral les ressources pour retrouver l’équilibre budgétaire et financer ses nouveaux programmes.

Qu’en pensez-vous ? Exprimez votre opinion