Le gouvernement fédéral songe à criminaliser le négationnisme des pensionnats, tel que le recommandera Kimberly Murray, interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes, dans son rapport final, en juin.

« Les recommandations finales de Mme Murray seront essentielles pour la mise en place d’un cadre juridique fédéral qui préservera et protégera les droits et respecteront la dignité des enfants enterrés dans des tombes anonymes et des lieux de sépulture en lien avec les pensionnats autochtones », signale Chantalle Aubertin, attachée de presse du ministre de la Justice, Arif Virani.

Or, l’une de ces recommandations sera de criminaliser l’incitation à la haine des Autochtones en niant l’existence des pensionnats ou en minimisant ce qui s’est produit dans ces établissements.

« J’espère que le gouvernement modifiera le Code criminel, comme il l’a fait pour l’Holocauste [en 2022, pour en interdire le négationnisme], afin que l’incitation à la haine contre les communautés autochtones, en lien avec les pensionnats, devienne un crime », confie Kimberly Murray en entrevue.

Le gouvernement de Justin Trudeau semble prêt à s’aventurer sur ce qui me semble être une pente glissante. Déjà, en novembre dernier, David Lametti, prédécesseur du ministre Virani, s’était montré disposé à modifier le Code criminel en ce sens.

« Nous ne devons pas ignorer l’impact durable que ces écoles ont eu sur les peuples autochtones – un traumatisme intergénérationnel qui continue d’être ressenti aujourd’hui, souligne l’attachée de presse du ministre Virani. Le déni des atrocités commises est douloureux pour les survivantes et survivants, leurs familles et leurs communautés. »

PHOTO JEFF MCINTOSH, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le négationnisme des pensionnats autochtones pourrait bientôt devenir criminel au Canada.

Dans son budget de 2024, Ottawa propose par ailleurs de verser 5 millions de dollars sur trois ans pour « établir un programme de lutte contre le déni de la réalité des pensionnats autochtones ».

Ce déni serait de plus en plus répandu – et de plus en plus menaçant pour les communautés engagées dans la pénible tâche de retracer leurs enfants disparus. On ne parle pas seulement d’une poignée de têtes brûlées qui se présentent sur des lieux de sépulture avec leurs pelles en pleine nuit, comme cela s’est produit à Kamloops.

La cheffe de la Première Nation Tk’emlúps te Secwépemc, Rosanne Casimir, a confié à Kimberly Murray que « la haine et le racisme étaient si intenses qu’elle n’utilise plus les médias sociaux sans filtres importants ». Dans son rapport préliminaire, en 2023, Mme Murray dénonçait déjà ce négationnisme devenu « violent » et « prolifique ».

Si le gouvernement va de l’avant, il risque de faire face à une certaine résistance.

Après tout, les propos haineux sont déjà interdits par le Code criminel. Faut-il en plus interdire spécifiquement le négationnisme des pensionnats ? Ne risque-t-on pas, ainsi, de proscrire tout débat ? Notre dossier sur le sujet serait-il considéré comme négationniste ?

Lisez notre dossier « Sépultures anonymes d’enfants autochtones : Le grand malentendu »

Pour sa part, l’historien Jacques Rouillard rejette évidemment cette étiquette infamante. « On veut nous faire taire », laisse-t-il tomber. « Nous ne nions pas l’existence des abus qu’il a pu y avoir dans les pensionnats. Mais c’est l’idée qu’il y a eu des meurtres… ces affirmations ne sont pas étayées par des faits. »

Jacques Rouillard s’en tient à ce qui a été consigné dans les archives ecclésiastiques. Il admet d’ailleurs « présenter le point de vue des religieux ». Ce n’est bien sûr qu’une version de l’histoire, mais je doute que la censurer nous rapproche de la vérité et, un jour, de la réconciliation.

Qu’en pensez-vous ? Exprimez votre opinion