On entend dire des médecins de famille qu’ils sont introuvables, qu’ils ne veulent plus travailler, qu’ils quittent le public pour le privé, qu’ils se plaignent de ne pas gagner assez, qu’ils préfèrent la médecine esthétique (plus payante)…

Chose certaine, on observe beaucoup de frustration et d’amertume à l’endroit des médecins de famille au Québec. La pénurie d’environ 1200 médecins et le difficile accès à la première ligne n’améliorent pas les choses.

De leur côté, les médecins de famille ont le vague à l’âme. Ils croulent sous les tâches administratives, ils aimeraient être plus autonomes, ils s’estiment sous-payés et, surtout, ils ont l’impression d’être les boucs émissaires pour tout ce qui va mal dans le système de santé québécois.

Au fil des entrevues menées pour ce dossier, j’ai réalisé que la médecine de famille avait changé. Que les étudiants la boudent peut-être moins qu’on le croit. Et que notre fantasme du médecin de famille présent dans son bureau 24/7 est bel et bien cela : un fantasme.

« L’image du médecin de famille tel qu’on le décrit aujourd’hui est folklorique, me lance le DCédric Lacombe, président de la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ). On semble avoir oublié que cette image reposait sur un modèle familial où le médecin était un homme qui travaillait des semaines de fous pendant que sa femme prenait soin des enfants à la maison. Ce modèle n’est plus viable. »

Aujourd’hui, les jeunes médecins aspirent à une meilleure qualité de vie et souhaitent voir leurs enfants grandir. Qui pourra le leur reprocher ?

Le DLacombe entend bien les critiques à l’endroit des médecins de famille, mais affirme qu’il n’y a aucune preuve scientifique qui appuie l’idée que chaque individu devrait avoir « son » médecin. « Ce qui est nécessaire, affirme-t-il, c’est qu’il y ait un point d’entrée unique bien identifié pour avoir accès à un panier de services. »

Il ne s’agit pas de remplacer le médecin de famille, m’assure le président de la FMRQ, mais bien de réorganiser le système de santé pour que « la trajectoire du patient » soit plus fluide.

D’un point de vue efficacité, un groupe de médecins qui a accès à mon dossier et à mon historique est beaucoup plus efficace. Mais ça demande aux Québécois d’avoir un peu plus de souplesse.

Le DCédric Lacombe, président de la Fédération des médecins résidents du Québec

Un discours politique néfaste

Quand je demande au président de la FMRQ pourquoi les étudiants en médecine boudent la médecine de famille, il réfute d’abord ce constat.

« C’est une spécialité super intéressante et modulable au cours d’une carrière, ce que d’autres spécialités ne peuvent se targuer d’être », répond-il.

Mais, car il y a un mais, les gouvernements Charest et Couillard – et plus spécialement le passage de Gaétan Barrette au ministère de la Santé – ont causé beaucoup de tort.

Quand ça fait 15 ans que t’envoies chier les médecins de famille sur la place publique, évidemment qu’il y a une génération d’étudiants en médecine qui va moins considérer la médecine de famille. On sous-estime à quel point ce terreau politique peut avoir un impact déterminant.

Le Dr Cédric Lacombe, président de la Fédération des médecins résidents du Québec

Pour une poignée de médecins

La question de la « pénurie » de médecins de famille fait tiquer tous les doyens des facultés de médecine à qui j’ai parlé. On me rappelle que bon an, mal an, environ la moitié des étudiants en médecine, toutes universités confondues, choisit cette spécialité. « Il y a quelques années, on tenait le discours inverse, on s’inquiétait du manque de médecins spécialistes, remarque Dominique Dorion, doyen de la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke. Puis, les urgences ont été encombrées et on a réalisé qu’on manquait de médecins en première ligne. Je gagerais que dans 10 ans, on manquera d’oncologues et de gériatres. Et la pénurie de médecins de famille sera derrière nous. »

Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux, en tenant compte de l’apport des autres professionnels de la santé comme les infirmières praticiennes spécialisées en soins de première ligne et les pharmaciens à la prise en charge des patients, il sera possible d’atteindre l’équilibre entre l’offre de services et le nombre de médecins requis en 2030-2031.

Néanmoins, la pression reste forte sur les universités pour former davantage de médecins de famille. Un décret fixe la proportion des places réservées à cette spécialité à 55 %. Comme on augmente le nombre d’admissions en médecine chaque année depuis 2020 (on devrait commencer à voir l’effet de ces augmentations dès 2026), il arrive que toutes les places en médecine familiale ne soient pas comblées. « On parle d’une poignée d’étudiants », insiste le doyen Dorion de l’Université de Sherbrooke.

Est-ce catastrophique, comme l’a laissé entendre Marc-André Amyot, président de la Fédération des omnipraticiens du Québec ?

Pas selon le DDorion, de l’Université de Sherbrooke. « Ce qui décourage le plus les étudiants, croit-il, c’est le discours inapproprié des politiciens et des syndicalistes. La médecine de famille a de très belles années devant elle, mais elle a profondément changé. Elle s’est professionnalisée, la pratique s’est améliorée. C’est une médecine complexe qui se pratique désormais en collaboration avec d’autres professionnels de la santé. Mais il faut arrêter de cibler les 4 ou 5 % qui n’ont pas choisi la médecine de famille. »

PHOTO MARTIN BLACHE, TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

Dominique Dorion, doyen de la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke

On va le combler, le déficit de médecins. J’ai confiance.

Dominique Dorion, doyen de la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke

Une pratique diversifiée

On critique beaucoup le fait que les médecins de famille passent trop de temps à l’hôpital, ce qui diminue leur disponibilité en clinique. Devrait-on tous les ramener dans leur bureau ?

« Ce serait une mauvaise idée », croit le DRené Wittmer, médecin de famille et professeur adjoint de clinique. « On essaie de trouver ce qu’on peut pour attirer la relève vers la médecine de famille et je crois que la diversité de pratique, ça résonne avec eux », dit-il.

Cela dit, il y a des médecins qui voudraient faire exclusivement du bureau, mais on les en empêche à l’heure actuelle. C’est peut-être ça, le plus grand problème. Ils vont au privé parce que c’est le seul endroit où on leur permet de faire ça. C’est désolant.

Le DRené Wittmer, médecin de famille et professeur adjoint de clinique

Le médecin de famille 2.0

En attendant que l’autrice de la série STAT, Marie-Andrée Labbé, imagine un personnage de médecin de famille super sympathique (ce qui pourrait aider grandement l’image des omnipraticiens au Québec !), un comité s’affaire à revaloriser cette spécialité en mal d’amour.

La Table nationale de concertation sur la valorisation de la médecine de famille regroupe les hauts dirigeants de l’ensemble des organisations médicales, y compris la Conférence des doyens des facultés de médecine du Québec et la Fédération des médecins étudiants du Québec.

La décision récente de ne plus exiger un formulaire du médecin pour une absence de quelques jours, c’est une des recommandations de cette Table. Tout comme l’idée de devancer les stages en médecine familiale pour exposer plus rapidement les étudiants à cette spécialité durant leurs études.

« Au total, on a identifié 120 problèmes à régler », explique le DPascal Renaud, président de l’Association des médecins omnipraticiens de Québec, qui participe activement aux travaux du comité.

Comme tous ceux à qui j’ai parlé pour ce reportage, le DRenaud insiste sur l’évolution de la médecine de famille au Québec. « Ce qui distingue la médecine de famille aujourd’hui, c’est sa polyvalence, dit-il. C’est encore plus vrai pour les médecins en région. Je suis un médecin de famille et ma seule pratique est en salle d’urgence. J’ai des collègues qui ne font que des soins de longue durée en CHSLD. Les accouchements, la majorité sont faits par des médecins de famille au Québec. C’est ça que la population doit comprendre. »

Un autre aspect de la médecine de famille ignorée des étudiants et du grand public, c’est à quel point la pratique d’un médecin peut changer au fil des ans. « J’ai commencé en faisant de l’urgence, j’ai fait de l’obstétrique, et aujourd’hui, je fais des soins palliatifs et du CHSLD, explique la Dre Danielle Daoust qui siège, elle aussi, à la Table de revalorisation. Cette flexibilité a été très précieuse dans ma vie pour m’adapter aux besoins de mes enfants. »

Cette polyvalence fait en sorte que les médecins sont moins disponibles pour faire de la consultation en bureau. Mais c’est aussi le plus grand attrait de la pratique auprès des jeunes.

Parmi les sources d’irritation majeures auxquelles tout le monde souhaite s’attaquer : les obligations de pratiquer en région ou de prendre en charge certaines tâches. « Tout le monde a un problème avec ça, affirme le DRenaud. On a la prétention de penser que si c’était enlevé, il y aurait beaucoup moins de 70 postes non pourvus en médecine familiale. »

Je ne doute pas que les Québécois vont finir par s’adapter à cette nouvelle vision de la première ligne. À condition qu’on leur explique les choses clairement. Et qu’ils puissent être vus par un professionnel de la santé qui répondra à leurs besoins dans des délais raisonnables. Ce n’est pas encore le cas.

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