Le modèle québécois des résidences pour aînés (RPA) est « insoutenable » dans sa forme actuelle, estime une nouvelle étude réalisée par un groupe de chercheurs pour le compte du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), et que La Presse a obtenue.

Une équipe de cinq chercheurs, sous la direction de Mélanie Bourassa-Forcier, professeure à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, a compilé un grand nombre de données sur les 1800 RPA du Québec et réalisé plus d’une trentaine d’entretiens avec des gestionnaires de RPA. Des sondages ont également été réalisés auprès de membres du personnel et de résidants de RPA. « C’est ce qui fait l’originalité de cette étude, dit Mme Bourassa-Forcier. On entre dans le fonctionnement interne des résidences. » Plusieurs problématiques en ressortent.

1. Le nombre de RPA diminue, mais le nombre de places a augmenté

Le nombre de RPA a diminué du quart depuis 2015, mais le nombre total de places a augmenté de 18 % jusqu’en 2023. Il y a donc une « concentration de places dans les grandes RPA », en concluent les chercheurs.

Ce sont surtout les petites RPA de moins de 30 places qui sont touchées par la plus récente vague de fermetures. Le nombre de RPA dans cette catégorie a diminué de 52 % entre 2015 et 2023.

La lourdeur des exigences de certification fait peser un poids important sur les RPA. « On est dans un phénomène de densification des normes. Des institutions qui se protègent en disant vouloir protéger les gens. Et, de fil en aiguille, on en arrive à un cahier de charges qui est de plus en plus volumineux. Il faut absolument cesser cette surréglementation », estime Mme Bourassa-Forcier.

La pénurie de main-d’œuvre vient aussi compliquer sérieusement la vie des RPA : le rapport cite l’exemple d’une RPA qui a procédé à 86 embauches au cours des dernières années, alors que sa résidence ne compte que 34 places.

2. Les résidences privées sont sursollicitées par le réseau de la santé

Les résidences privées pour aînés sont sollicitées bien au-delà de leur capacité par le réseau de la santé, et se retrouvent à héberger des personnes âgées dont la perte d’autonomie est telle qu’elles devraient se retrouver dans d’autres ressources. « Par exemple, une dame nécessite une intervention aux deux heures, jour et nuit, ça fait un an et demi que l’avis est soumis au CLSC et il n’y a toujours aucune place pour elle », relate un gestionnaire.

Certains CLSC, lorsqu’ils sont sollicités par les RPA, ont également tendance à minimiser leurs demandes. « Ils nous prennent pour un débarcadère à personnes. Je suis une RPA privée et non un centre hospitalier. Ils surutilisent leurs droits », témoigne un gestionnaire. En général, estiment les membres du personnel sondés, les cas se sont alourdis au fil des ans : 81 % d’entre eux estiment que les besoins ont augmenté.

Lorsque le réseau public n’offre pas les services requis, les RPA ont tendance à l’assumer, même si elles n’ont pas nécessairement le personnel pour ce faire.

Le CIUSSS part du principe qu’à partir du moment qu’ils sont en RPA, ils sont pris en charge et comme ils n’ont pas de places dans le réseau, c’est advienne que pourra”, gardez-les.

Un gestionnaire de RPA qui a témoigné dans le cadre de l’étude

De même, le nombre de places en RPA « achetées » par le réseau de la santé a bondi depuis 2015. Le nombre de RPA ayant au moins une « entente 108 » avec le réseau de la santé, qui assume alors les frais de l’hébergement, est passé de 217 établissements à 422. C’est près de 100 % d’augmentation.

3. Le déménagement des résidants pose beaucoup de défis aux RPA

Lorsqu’une RPA estime qu’un résidant n’est plus en mesure d’y demeurer parce qu’il est en trop grande perte d’autonomie, elle doit transmettre au réseau de la santé un avis de dépassement. Sauf que les familles s’y opposent souvent, craignant que leur parent doive déménager. « Le gestionnaire de la RPA se retrouve donc dans une position où il sait que les besoins de cette personne ne sont pas comblés et qu’elle n’est plus en sécurité », notent les chercheurs. S’ajoutent à cela des considérations financières : certains aînés, à cause d’un budget limité, ont du mal à trouver une place.

La perspective d’un déménagement est une source importante d’anxiété pour les aînés qui vivent en RPA, a constaté Mme Bourassa-Forcier au fil de ses visites. « L’idéal serait de s’assurer de créer un lien avec d’autres RPA, que les gens sachent que c’est là qu’ils vont aller quand le niveau d’autonomie va diminuer. »

4. Les loyers et les frais ont augmenté de façon importante au cours des dernières années

Même si le Québec a en moyenne les prix de loyers les plus bas en RPA, les montants mensuels demandés aux clients des RPA ont augmenté parce que les coûts d’exploitation des établissements ont eux aussi grimpé.

Le tiers des résidants sondés estiment d’ailleurs que leur loyer est trop onéreux, et ce, même si le gouvernement offre un généreux crédit d’impôt aux résidants de RPA.

Les dépenses gouvernementales liées à ce crédit d’impôt ont augmenté de 40 % en l’espace de 5 ans.

Comme la capacité de payer d’une bonne proportion des aînés est tout de même limitée, les chercheurs suggèrent d’inciter la population à se doter d’une assurance pour les soins de longue durée. À l’instar de l’assurance médicaments, les chercheurs suggèrent une formule hybride, un mélange d’assurance privée pour les soins de longue durée et d’un régime public d’assurance autonomie pour les clientèles plus démunies. « Il faudrait que tout le monde ait une assurance pour ses vieux jours », estime Mélanie Bourassa-Forcier.

Les chercheurs soulignent également la nécessité de créer davantage de RPA à but non lucratif, pour permettre aux aînés qui ont moins de revenus d’accéder au réseau des RPA. « Il faut multiplier le nombre de ces établissements, par le biais notamment des municipalités et du communautaire », conclut la chercheuse.