C’est soir d’élections, en octobre 2022. Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois (PQ) et candidat dans la circonscription de Camille-Laurin, répète son discours de défaite. Seules quelques centaines de boîtes de scrutin sont dépouillées dans sa circonscription, où le décompte est bloqué depuis des heures. Mais ailleurs au Québec, l’hécatombe péquiste est totale. Son équipe en est convaincue : le chef perd.

« On me dit : “Paul, on n’a pas le choix. On doit te donner ton discours de défaite. Et tu dois le pratiquer.” » Tout le monde sort de la pièce. Son père est le seul spectateur de cette répétition crève-cœur. « Tu as fait tout ce que tu pouvais. Je suis fier de toi », lui dit-il.

Au beau milieu de la répétition, un membre de l’équipe déboule dans la pièce. « Le vote a recommencé à rentrer. C’est Paul. C’est Paul partout ! » Sa famille envahit la pièce. « Et puis, on prend le discours, on m’en donne un autre. On me dit : “Ça, c’est le discours gagnant.” » PSPP finit effectivement par l’emporter, avec 2700 voix de majorité, en partie grâce à un act of God électoral – la candidate de Québec solidaire avait été éjectée après avoir été filmée jetant des dépliants du PQ aux poubelles.

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Le chef du Parti québécois Paul St-Pierre Plamondon après son élection dans la circonscription de Camille-Laurin en octobre 2022

Ce spectaculaire tour de montagnes russes psychologique, le chef péquiste le décrit comme le plus beau moment de sa carrière politique. Il est encore étreint par l’émotion en l’évoquant. Pas surprenant : il couronne près de six ans de traversée du désert, à partir de 2016, lorsqu’un jeune blanc-bec décide de se lancer dans la course à la chefferie du PQ.

« Un jour, il est débarqué chez moi ; mon conjoint et moi, on était à table. Il nous a dit : “Savez-vous quoi ? Je me lance dans la course à la chefferie au PQ.” Nos deux fourchettes sont tombées. On lui a dit : “As-tu perdu la tête ?” », raconte une proche, qui le connaît depuis l’enfance. Elle préfère que l’on taise son nom pour ne pas nuire à ses activités professionnelles.

Il n’a aucune expérience, ne connaît pas le Parti québécois ni les médias. Il peine à recueillir les signatures nécessaires pour officialiser sa candidature. Il en faut 1500. « À un moment donné, on se regarde et on se dit : on va frapper un mur solide », dit-il. Et c’est là qu’un coup de téléphone providentiel arrive, celui du député de Matane-Matapédia, Pascal Bérubé.

« Je l’ai invité dans mon comté. Lui et son beau-père sont arrivés dans une roulotte. Ils se sont installés dans ma cour. Le lendemain, je lui ai donné une pile de fiches d’adhésion à renouveler. Il est parti à pied, à 30 degrés. Il a fait toutes les rues. Et le lendemain matin, il en voulait d’autres ! »

Une fois la candidature enregistrée, la microéquipe qui l’entoure n’est pas au bout de ses peines. « On faisait des conférences de presse et personne ne se présentait. Un jour, un journaliste m’a prise en pitié. Il m’a dit : “Ceux qui couvrent la course, ils sont à Québec. Et vous, vous faites des points de presse dans des parcs à Montréal !” », raconte l’avocate Marie-France Perreault, l’une de ses plus proches complices durant ces années dans le désert.

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Paul St-Pierre Plamondon lors d’un débat à la course à la direction du Parti québécois en 2016

« Je me levais le matin, j’étais en boxers, puis il y avait des bénévoles qui faisaient des appels dans mon sous-sol », raconte PSPP. Yvon Lafrenière, ex-directeur du collège Notre-Dame, a été recruté pour faire du pointage. « Je cherchais un endroit tranquille. Je me suis installé dans sa chambre, sur une planche à repasser, avec mon téléphone et mes feuilles », raconte M. Lafrenière.

Mais le candidat n’est pas bien reçu au parti. « On me présentait comme un dangereux fédéraliste qui voulait infiltrer le PQ. » Après un évènement, il retrouve sa voiture vandalisée par un trait de clé. Deux mois après le départ, un sondage le place à 1 % du vote. « Ma femme pleurait », raconte le chef péquiste.

Il finit la course avec un score de 7 %, mais Jean-François Lisée, le nouveau chef, le sacre « révélation politique de l’année ». Il est ovationné par les militants.

Après son élection, M. Lisée l’envoie sonder des clientèles que le PQ a du mal à joindre. « J’arrive dans un évènement. Il y avait 200 personnes. Je n’en connaissais aucune. La moyenne d’âge était de 22 ans, raconte Jean-François Lisée. J’étais renversé. » Et sur leur téléphone, les gens avaient téléchargé une application, ils pouvaient voter en direct sur certains points. « Je n’avais jamais vu ça au PQ, poursuit M. Lisée. Pour moi, l’avenir du parti était là. »

Mais PSPP en tire un rapport dévastateur, qui provoque un séisme au parti. Le PQ est perçu comme un « club social vieillissant et déconnecté ». Les jeunes y sont comme des « Pokémon rares », lit-on dans les 42 pages écrites à l’acide.

« Le lendemain de l’article [qui a révélé le rapport], raconte PSPP, on m’annonce qu’on est en gestion de crise. On me dit : “Tu vas venir d’urgence à Québec pour t’expliquer.” J’arrive à Québec. On m’assoit. J’étais comme dans le box des accusés. » Au caucus péquiste, les 28 députés lui disent, l’un après l’autre, tout le mal qu’ils pensent de son rapport.

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Jean-Francois Lisée, alors chef du parti, et Paul St-Pierre Plamondon dévoilent les résultats de la tournée de consultation « Osez repenser le PQ ».

« Il mettait le doigt sur un certain nombre de réalités. Le problème, c’était la manière », raconte un ex-député, qui a demandé qu’on taise son nom pour des raisons professionnelles. Le financement, les cartes de membre, tout ça c’était grâce aux bénévoles… dont plusieurs retraités. Or Paul avait été très sévère envers eux. Ils se sont sentis attaqués. Il sort d’où, lui ? Il n’a jamais vendu une carte de membre ! »

Plusieurs circonscriptions, où certains « vieux bénévoles » menacent de quitter le navire, se retrouvent en état de crise. Les députés sont furieux. « C’est la fois de ma vie où j’ai été le plus varlopé, et de loin », résume PSPP.

Et puis, les élections de 2018 arrivent. Il se présente dans Prévost, une circonscription « gagnable », pense-t-on à l’époque. Il commence, un an avant les élections, une campagne acharnée. « Il n’y a pas une porte où on n’a pas frappé dans le comté », résume Marie-France Perreault.

Cependant, une adversaire de taille finit par être désignée pour l’affronter : l’ex-animatrice et ministre libérale Marguerite Blais. « Sa popularité est stratosphérique. Elle aurait pu se présenter pour le Bloc Pot qu’elle aurait gagné ! », résume Jean-François Lisée.

Mais PSPP ne se démonte pas. « Mme Blais était très peu présente dans Prévost. Elle a beaucoup été au national, pas sur le terrain dans le comté. Elle a refusé plusieurs débats », relate Marie-France Perreault. Pourtant, le soir des élections, PSPP perd, et de beaucoup. Blais récolte 47 % des voix, lui, 24 %.

C’est là le pire creux de toutes ces années de disette, dit-il. « Ça m’a pris trois mois avant de reprendre une activité professionnelle quelconque. J’allais la nuit décrocher mes pancartes. Parce que ça ne me tentait pas d’être reconnu. »

Commencent alors deux ans d’hibernation, où il retourne à la pratique du droit à Gatineau. Le désistement de la très populaire Véronique Hivon à la nouvelle course à la direction du PQ lui offre une reprise. Il se lance, au prix d’importantes contorsions idéologiques (voir autre onglet).

La course, surréaliste, se déroule en pleine pandémie. Et puis, le premier sondage sort. PSPP est troisième, loin derrière l’ex-ministre Sylvain Gaudreault et l’humoriste Guy Nantel. De Gaspé, il s’arrête à Matane. « Il envisageait de quitter la course. Avec sa femme, Alexandra, ils décident d’aller jusqu’au bout. À partir de là, on va le voir monter », se souvient Pascal Bérubé. Au bout du compte, il récolte 56 % après trois tours.

  • Les débuts du nouveau chef du PQ sont difficiles alors que le Québec est plongé en pleine pandémie. Ici, un caucus extraordinaire pour souligner l’arrivée au Parlement du nouveau chef du parti, le 14 octobre 2020.

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

    Les débuts du nouveau chef du PQ sont difficiles alors que le Québec est plongé en pleine pandémie. Ici, un caucus extraordinaire pour souligner l’arrivée au Parlement du nouveau chef du parti, le 14 octobre 2020.

  • Paul St-Pierre Plamondon lors de la rentrée parlementaire à l’automne 2023

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    Paul St-Pierre Plamondon lors de la rentrée parlementaire à l’automne 2023

  • Le chef du Parti québécois, accompagné de Méganne Perry Mélançon, le 30 janvier dernier lors d’un point de presse

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    Le chef du Parti québécois, accompagné de Méganne Perry Mélançon, le 30 janvier dernier lors d’un point de presse

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Mais une fois élu, il est toujours dans le désert. Pandémie oblige, il fait son discours seul, devant une caméra. « Aucune chaleur humaine. Un beau moment, mais complètement aseptisé », se rappelle Marie-France Perreault. « J’ai livré un très mauvais discours. C’était un environnement absolument déconcertant », ajoute le principal intéressé.

Le lendemain, aucune invitation à la radio ou à la télé. « C’est comme si ça n’avait pas eu lieu. » Et puis, il prend conscience de l’ampleur des problèmes du parti. Deux millions de dollars de dettes. « Il a fallu convaincre la banque de ne pas tirer la plogue. »

Chaque jour, le chef non élu tente d’attirer un peu de lumière à l’Assemblée nationale dans une époque dominée par la COVID-19. À chaque point de presse, on lui rappelle que son parti est aux soins palliatifs. « On nous a laissés pour morts sur le bord de la route », résume brutalement Pascal Bérubé. Lorsque les élections de 2022 sont déclenchées, « la possibilité de la mort parlementaire était réelle », note Jean-François Lisée.

Et pourtant, moins de deux ans plus tard, la traversée du désert se termine. PSPP a réussi à se faire élire comme député, à faire survivre son parti, à gagner une partielle dans une circonscription que le PQ n’avait jamais remportée, et à grimper en première position dans les sondages. Comment diable a-t-il pu réussir tout ça ?

« PSPP, c’est un peu l’histoire d’un négligé qui finit par gagner en étant vaillant », dit Pascal Bérubé. Il a plutôt vendu son âme au diable, rétorquent ceux qui ne l’aiment pas.