Il y a un groupe appréciable d’électeurs qui, en vue des prochaines élections générales, se cherchent une option politique. Appelons-les « les orphelins de Mulroney ».

Des gens – un peu partout au pays, pas seulement au Québec – estiment que le gouvernement Trudeau est usé après bientôt neuf années de pouvoir, qu’il est temps, par exemple, de redresser la barre dans les finances publiques, mais qui ne se sentent pas vraiment à l’aise avec ce que propose Pierre Poilievre.

La politique a beaucoup changé depuis 1993, quand M. Mulroney a quitté le pouvoir. En particulier, la droite s’est radicalisée, en partie sous l’influence de ce qui est arrivé au sud de la frontière.

Le virage à droite a été marqué d’abord par la création du Reform Party et l’élection d’un fort contingent de députés, alors qu’au Québec, le Bloc a pris une part importante du vote « bleu ».

Mais le Reform n’a jamais réussi à être autre chose qu’un parti régional de l’Ouest, et si le Bloc a connu de beaux succès, il ne peut plus occuper la majorité des sièges du Québec à Ottawa comme à ses beaux jours.

Ce qui fait qu’il y a un électorat plutôt centriste qui se reconnaissait dans le conservatisme de Brian Mulroney, mais qui n’est pas nécessairement prêt à suivre celui de l’actuel chef conservateur. Quelques exemples :

D’abord, l’environnement. Le décès de M. Mulroney nous a rappelé combien il avait été un précurseur sur la question environnementale avec son travail sur des dossiers comme ceux des pluies acides ou de la couche d’ozone. Or, le Parti conservateur actuel passe plus de temps à flirter avec des positions négationnistes sur le réchauffement climatique, par exemple. M. Mulroney avait compris que l’environnement est un sujet qui dépasse le clivage gauche-droite et qu’un parti conservateur pouvait se l’approprier de façon positive.

La rigueur budgétaire est un sujet traditionnel pour les partis conservateurs. Aujourd’hui, bien des électeurs s’inquiètent à bon droit des déficits importants du gouvernement Trudeau. Le parti de M. Poilievre dit vouloir rétablir « le gros bon sens » dans les finances publiques, mais la méthode retenue – « chaque dollar de nouvelle dépense doit être accompagné d’un dollar économisé » – ressemble malheureusement plus à un slogan qu’à une méthode comptable sérieuse.

De même, si personne n’aime les taxes, l’utilité de certaines d’entre elles peut être comprise par les contribuables. La taxe sur le carbone n’est sans doute pas populaire, mais l’idée d’une taxe sur la pollution fait tout de même son chemin. « Abolir la taxe » est un slogan, pas une option politique.

Il fallait du courage politique pour introduire une taxe visible sur les produits et services, comme la TPS, qui remplaçait une taxe invisible sur les produits manufacturés. M. Mulroney en a payé un fort prix politique, mais presque tout le monde reconnaît aujourd’hui que c’était la chose à faire.

La place du Canada dans le monde : Brian Mulroney, on en parle beaucoup ces jours-ci, a souvent été un leader sur les grandes questions internationales de son temps. La lutte contre l’apartheid – il s’est opposé à Margaret Thatcher et à Ronald Reagan – est restée célèbre. Mais il a été aussi l’un des premiers leaders occidentaux à rejeter la logique de la guerre froide et à soutenir Mikhaïl Gorbatchev et ensuite Boris Eltsine. On peut aussi parler de son rôle dans la création de l’Organisation internationale de la Francophonie.

Le parti de Pierre Poilievre donne plutôt l’impression d’être hostile aux institutions internationales où le Canada a un siège, comme le G7 et même l’ONU. Il a même déjà promis de congédier tout ministre qui irait participer au sommet de Davos. Un populisme qui n’apporte que peu de dividendes dans l’électorat, mais qui risque de diminuer l’influence du Canada à l’échelle internationale.

Gouverner au centre : la fusion du Parti progressiste-conservateur avec le Parti réformiste a refait l’unité de la droite au Canada, ce qui était un préalable si elle voulait reprendre le pouvoir. Mais l’ancrage politique du nouveau Parti conservateur du Canada est beaucoup plus à droite que celle de l’ancien Parti progressiste-conservateur.

Or, le Canada se gouverne au centre, ce que Brian Mulroney avait bien compris. Quand il faut des coupes, on les fait au scalpel, pas à la hache.

M. Mulroney a privatisé une vingtaine de sociétés de la Couronne, dont Air Canada et Petro-Canada. Les décisions furent brièvement impopulaires, mais les privatisations ont été bien faites et, malgré certains discours de l’époque, personne n’a voulu renationaliser ces sociétés qui pouvaient être mieux gérées par le secteur privé.

On est loin de M. Poilievre qui veut privatiser ou fermer la CBC, le réseau anglais de Radio-Canada, qui serait selon lui un « grand gaspillage d’argent », tout en conservant RDI, le Réseau de l’information, essentiellement pour les francophones hors Québec.

C’est exactement le genre de proposition idéologique et revancharde qu’évitait Brian Mulroney. M. Poilievre devrait se rappeler que, comme l’a démontré M. Mulroney, on ne gagne pas en divisant, mais plutôt en additionnant.

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