L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde.

Les sucres sont terminés. C’est le temps des semis, préparer la terre, ramasser le bordel que les vents ont laissé sur leur passage et colmater les trous que les rats ont creusés pour avoir accès au poulailler.

Bien que ce ne soit pas des rats de ville, n’en demeure pas moins que c’est dérangeant. Les poules, les canards, les faisans n’aiment pas partager leur nourriture contre leur gré. Dans les faits, je l’ignore, mais j’imagine que c’est un sentiment partagé entre eux et moi que de ne pas vouloir être volé chez soi par des intrus. C’est un village souterrain que les rongeurs se sont construit. Il y a des années comme ça. Cyclique.

Il y a bien sûr quelques chats errants, des renards et des coyotes pour faire une partie du travail de régulation, mais à un moment donné, on franchit un point de non-retour ; il y a trop de rongeurs dans le système.

La semaine dernière, dans une autre vie, j’ai été pris durant quatre jours au milieu du fleuve, à cause des vents violents qui ont paralysé tous les systèmes de transport (aérien et maritime). On annule des trucs, on réorganise le calendrier, on mange des boîtes de conserve. Et on sourit.

Un après-midi, encore à cause des vents, c’est une marée de 22 pieds qui a ceinturé la maison. À la fois belle et inquiétante. La terre est inondée et disparaît sous l’eau. Je sors marcher (pas très loin, car ça aurait pris un kayak, comme dit Céline) parce que c’est beau. Ça arrache solide ; 95 km/h. Les champs disparaissent sous le fleuve quelques heures, puis l’eau finit par se retirer et retourne à la mer. Me suis dit que c’était comme une sorte de fin du monde, et un recommencement.

Avec un étonnement par ailleurs plutôt joyeux pour certains et plus tragique pour d’autres : corneilles, goélands, corbeaux, buses, harfangs, aigles, faucons s’en donnaient à cœur joie. Comme l’eau emplit les trous et les terriers, rats, mulots, souris, rats musqués, taupes et autres doivent sortir et trouver refuge sur les petits bouts de terre qui ne sont pas submergés. Miam ! la nature s’est dit. Gros lunch gratos, buffet à volonté, pour ceux un peu plus haut dans l’échelle.

Et du temps, donc, j’en ai eu un peu plus que d’habitude, pour me mettre à jour sur les actualités. Aïe ! Ne jamais faire ça. Ne jamais se sevrer une semaine pour reprendre après une pause. Ça fait mal.

Si on ne s’occupe pas des rats à temps, ça part en vrille. Ou en couilles. Et on peut perdre le contrôle, et là, il faut vider le bâtiment, et utiliser des produits pas gentils pour l’environnement. Drastiques. Sinon, c’est infesté et infecté.

À la lecture des nouvelles, donc, un peu le même sentiment. Toujours des guerres et des conflits en cours, l’Iran menace de s’en mêler, l’OTAN aussi ; on va élargir et étendre la distribution de ce théâtre, Trump va revenir mettre de l’ordre dans tout ça ! La Chine rumine patiemment, la Corée du Nord aussi. Le réchauffement climatique. Et vient d’apparaître la menace nucléaire, de plus en plus sérieuse par des menaces de plus en plus fréquentes dans les discours de Poutine, avec celle d’un conflit généralisé qui n’est plus un vague péril, mais une possibilité à court terme.

Et durant cette ère plus ou moins confortable, une prospérité hallucinante : je reçois des relevés bancaires, que je regarde distraitement, et constate que tout va très bien ; la croissance est au rendez-vous, le marché immobilier est top, les taux d’intérêt vont baisser. Les profits s’engendrent, le S & P 500 bat des records (sais pas ce que c’est) et une sorte de prospérité se compose sur le fond d’une situation géopolitique un peu beaucoup inquiétante. Quelque chose m’échappe ? On pourrait m’expliquer.

Normalement, il faut attraper le problème avant que les rats n’aient envahi tout le bâtiment. Plus tôt que tard, on se dit.

On sait que la marée finira bien par se retirer. Mais le niveau des océans augmente chaque année. Viendra bien un temps où elle couvrira tout. Et peut-être qu’elle finira par rejoindre le village des rats. Ça aura ça d’heureux. À toute chose malheur est bon, on dit. Heureux d’un printemps où tout va pour le mieux, genre.